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BOURDONl’évolution phonétique du langage

entier et non pas à telle ou telle partie du mot. Il faut cependant concéder que dans quelques cas spéciaux la signification peut jouer un rôle indirect. Supposons, par exemple, qu’un Italien ait à parler de commencer ; cette idée naîtra dans son esprit et d’une manière presque réflexe tendra à le faire articuler soit principiare, soit cominciare. Or si ces deux mots sont également familiers à l’Italien en question, il pourra se faire qu’ils surgissent à peu près simultanément et qu’il se forme alors dans la bouche de celui qui parle un mot mixte. Et, de fait, on trouve le mot cminzipià dans un dialecte italien[1].

Une autre condition psychologique, déjà signalée, c’est l’association qu’on constate, dans le langage, entre l’ouïe et l’articulation. Elle se produit parce que l’homme s’entend en même temps qu’il articule. Cette association se développe peu à peu chez le petit enfant et acquiert assez vite une précision et une solidité assez grandes pour qu’on puisse dire, en tenant compte toutefois des réserves faites précédemment, que chaque complexus déterminé d’articulations, avec les sensations musculaires qui l’accompagnent, a, pour la conscience, un équivalent suffisamment exact dans des sensations auditives correspondantes, et réciproquement. C’est ainsi que l’audition devient apte à contrôler l’articulation et, dans la société, à empêcher les écarts individuels qui tendraient à se produire chez cette dernière ; à ce propos il faut remarquer en outre que l’idée signifiée doit être, en règle générale, plus complètement encore, s’il est possible, fusionnée avec le son qu’avec l’articulation, parce que l’articulation n’est perçue que par celui qui parle, tandis que, sans parler, on entend encore les sons émis par les autres ; il est permis de croire, à cause de cela, que la parole intérieure est plus généralement auditive que musculaire.

V

Outre les conditions mécaniques, physiologiques et psychologiques, il y a encore pour le langage des conditions sociales. Il a été déjà fait allusion à ces conditions. C’est à une influence sociale qu’il faut rattacher la façon de parler particulière qu’on observe parfois dans certaines corporations. Delbrück signale ainsi comme général le parler du nez chez les officiers allemands. Cette mode peut bien avoir, remarque justement Delbrück, une raison pratique, mais celui qui entre dans la société des officiers ne se l’en approprie pas moins simplement parce qu’elle est la mode. Lorsqu’un provincial arrive à

  1. Cité par Paul, Principien, p. 132.