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un élément de distinction dans l’homogénéité primitive. Ce n’est pas ainsi, croyons-nous, qu’on pourrait expliquer l’affaiblissement particulièrement considérable qui est supposé s’être produit dans ces cas ; il faudrait plutôt faire remarquer qu’étant les mêmes pour des mots différents, ces terminaisons ont été plus souvent articulées que les syllabes radicales et, à cause de cela, plus exposées peut-être à s’user. De même on abrège, en écrivant, sa signature ; en parlant, les formules de salutation, les jurons usuels.

À la théorie de l’influence du sens on peut rattacher celle de l’influence de la forme interne. Les partisans de cette forme interne prétendent reconnaître dans les langues l’âme des peuples qui ont parlé ou parlent ces langues. Un esprit très scientifique, Gröber, dit encore aujourd’hui[1] : « Cette tendance de la langue française à ne laisser dans le mot que des syllabes ouvertes,…tendance qui d’abord supprime les muettes devant une consonne (faite facta, me-tre = mittere), puis par une nasalisation de la voyelle, les nasales qui terminent la syllabe (châter = cantare), qui plus tard amène l’assourdissement de l’s (tête = teste, testa), la vocalisation de l’l (sauter = salter, saltare) et finalement l’hésitation dans l’articulation de l’r (vieux français Cha-les = Char-les ; de même dans certains dialectes), qui enfin force à prononcer la consonne non assourdie à la fin des mots, comme si elle était la consonne initiale des mots commençant par une voyelle (Liaison ; p. ex. : tro’peureux = trop heureux), et pendant des siècles contraint ainsi la vis minima à se mouvoir sans interruption dans la même direction, cette tendance ne peut guère s’expliquer par un sentiment musical particulier ou par des causes mécaniques, mais seulement par des circonstances de l’âme nationale française. » Steinthal, dont les mérites sont d’ailleurs incontestables par ailleurs, a dépensé beaucoup d’effort à établir cette théorie de la forme interne. Personne ne doit évidemment nier à priori quoi que ce soit, mais, tant qu’on n’aura pas trouvé quelques faits bien établis appuyant de telles théories, on ne saurait faire un crime à personne de n’en pas tenir compte. On a le droit de négliger une hypothèse qui a conduit son plus éminent représentant actuel à des affirmations aussi téméraires que la suivante, savoir que la façon dont les peuples sémitiques articulent les sons dans le fond de la bouche paraît être un signe de leur profondeur[2].

Ainsi il faut conclure que la signification n’agit pas sur le changement phonétique. L’idée signifiée est en général associée au mot tout

  1. Grundriss der romanischen Philologie. p. 235.
  2. Steinthal, Charakteristik der hauptsächlichsten Typen des Sprachbaues, p. 241. Comparer ce qu’il dit de l’ « Innerlichkeit » allemande, p. 302.