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BOURDONl’évolution phonétique du langage

III

La remarque précédente nous conduit à reconnaître dans l’évolution phonétique un nouveau facteur, savoir les conditions anatomiques et physiologiques de l’articulation. L’intervention de ce nouveau facteur est mise en relief notamment par les faits suivants : 1o Incompatibilité naturelle de deux articulations, résultant des dispositions anatomiques des organes vocaux eux-mêmes et en particulier de la trop grande ressemblance entre les mouvements à exécuter pour chacune de ces articulations : c’est ainsi qu’il est difficile d’articuler successivement deux mêmes sons, ou encore t et p ou b, t et k ou g, m et n, etc., exemple : tpa, tba, tka, tga, mna. Il est également difficile d’articuler d’une façon distincte deux sons comme p et b qui ne se distinguent guère que par ce caractère que le premier est sourd, le second sonore. 2o L’influence de l’accent sur les changements phonétiques, laquelle a été si bien mise en relief dans les langues germaniques, se rattache également aux conditions physiologiques de l’articulation. Si la partie du mot accentuée se modifie autrement dans une langue que la partie non accentuée, si d’un côté on a aime = ámo et amons = amámus, aucune autre cause du fait ne paraît pouvoir être invoquée que la différence d’intensité des mouvements nécessaires pour pouvoir articuler dans un cas l’a accentué, dans l’autre l’a non accentué. Si nous essayons de prononcer j’chant, j’ter (pour je chante, jeter) en accentuant fortement une première fois le ch et le t, et la seconde fois le j, nous aurons dans le premier cas une tendance presque irrésistible à prononcer ch’chante, ch’ter, et au contraire, dans le second, à dire j’jante, j’der. 3o On sait qu’il peut exister des lois phonétiques différentes pour une articulation suivant qu’elle est placée au commencement, dans le corps ou à la fin du mot. Pour ces différences encore, il n’est guère d’autre explication admissible que celles qu’on peut trouver dans les conditions physiologiques différentes d’articulation qui se produisent selon la place du son dans le mot.

Dans certains cas, cette modification phonétique qui tend à se produire par suite de la disposition même et de l’activité des organes vocaux peut être favorisée par la perception auditive ; lorsque, par exemple, la syllabe accentuée se comporte, au point de vue du changement phonétique, autrement que la syllabe non accentuée, la perception auditive peut contribuer à quelque degré au phénomène ; on peut en effet facilement admettre que l’on entend plus distinctement la syllabe accentuée que la syllabe non accentuée ; conséquemment