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Il est impossible, dit Steinthal, d’admettre ici une action purement mécanique ; si, en effet, dans un mouvement physique, il peut bien y avoir action du mouvement précédent sur le suivant, il n’y a jamais action du mouvement suivant, qui n’existe pas encore, sur le mouvement précédent ; donc l’action, dans l’assimilation régressive, ne peut être que psychique. On peut objecter à cela qu’il faudrait prouver précisément que l’âme est capable de faire ce que la matière à elle seule ne peut faire ; il y a au fond de cette théorie de Steinthal certainement ce postulat, qui d’ailleurs n’est pas rare chez beaucoup de philosophes : c’est que, quand on ne peut expliquer quelque chose mécaniquement, on n’a qu’à recourir à quelque action psychique, tandis qu’on devrait toujours se garder de faire intervenir des explications psychologiques de ce genre, pour cette raison qu’on connaît bien moins l’âme que le corps. On peut remarquer encore, contre cette théorie de Steinthal, que, comme on l’a vu précédemment, l’élément du langage n’est pas l’articulation isolée a ou b, mais la phrase, ou, tout au moins, le mot. Il ne faut par conséquent pas se figurer que quand nous voulons articuler le mot octo nous songions d’abord à articuler l’o, puis le c, etc. ; nous préparons l’articulation tout entière d’un seul coup. Il faut ajouter qu’il y a aujourd’hui sur les sensations musculaires deux hypothèses principales, l’une qui leur attribue une origine centrale, l’autre une origine périphérique comme aux sensations visuelles, tactiles, etc. Si cette dernière était vraie, et il est fort possible qu’elle le soit, il s’ensuivrait que la conscience d’une articulation suit cette articulation et ne la précède pas. Cela serait un nouvel argument en faveur de la théorie que l’assimilation régressive peut très bien être due à un phénomène purement mécanique, comme l’assimilation progressive. Si, en effet, l’articulation précède et ne suit pas la conscience de l’articulation, on ne peut que constater le changement d’octo en otto, on ne peut pas le vouloir d’avance. Si l’on y réfléchit, on s’apercevra que cette théorie est très vraisemblable, que le plus naturel, en s’appuyant sur les faits, c’est de supposer que nous en venons peu à peu, sans le remarquer, mécaniquement, à assimiler dans octo le c au t et que la conscience de l’assimilation ne peut apparaître qu’une fois l’assimilation réellement effectuée. Une dernière remarque, à l’appui de cette théorie mécanique de l’assimilation aussi bien régressive que progressive, c’est qu’on n’assimile que des articulations matériellement analogues, c’est-à-dire impliquant dans une grande mesure les mêmes mouvements des mêmes organes, comme le k et le t, le p et l’f, le b et le v, etc.