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entre les sons et les articulations, que les uns sont parfois discontinus, tandis que les autres sont continues. C’est là encore une remarque importante faite par les linguistes contemporains et qui éclaire admirablement le mécanisme de l’articulation en même temps que celui de certains changements phonétiques. La vieille théorie d’articulations définies susceptibles d’être toujours traduites par un seul signe déterminé, a, b, m, n, etc., doit être corrigée. Un mot comme ama n’est pas un simple composé de a + m + a, c’est-à-dire des articulations successivement produites pendant que les organes du langage se trouvent dans la position a, dans la position m et de nouveau dans la position a. « En effet, pendant que les organes vocaux se meuvent de la position a à la position m, la voix continue de résonner. Pendant ce temps de transition on n’entend cependant ni le pur son a, ni le pur son m, mais il s’introduit entre le son initial a et le son final m une série continue de sons intermédiaires ; de même pendant le passage d’m à a, et ainsi partout où un changement dans les organes a lieu pendant que l’expiration continue. Le langage ne consiste donc pas simplement en une série d’articulations définies non reliées entre elles, mais il consiste en une chaîne, dans laquelle articulations définies et articulations intermédiaires alternent régulièrement… L’a a, comme I’m, une position définie. Les articulations intermédiaires sont au contraire dépourvues d’indépendance, elles se règlent sur les articulations voisines. Dans am, l’articulation intermédiaire conduisant à m est autre que dans em, im, om, um, ou encore autre que dans al, ar, af, etc., parce que dans le premier cas le point de départ, dans le second le point d’arrivée du mouvement sont divers[1]. » Le développement précédent met en relief surtout la continuité de l’articulation et le manque de détermination des articulations de transition. Pour se rendre compte maintenant comment il peut y avoir discontinuité dans les sons, il n’y a qu’à constater ce qui se passe dans les explosives, comme p, t, k. Il est clair que dans un mot comme apa ou appa il n’y a aucun son produit pendant le temps qui s’écoule entre l’occlusion et l’ouverture des lèvres. En s’appuyant sur ce fait, on pourrait distinguer, parmi les éléments du langage, des pauses[2].

Les observations qui précèdent conduisent à cette conclusion que les articulations ou les sons particuliers tels que les analyse l’alphabet ne sont pas le véritable élément du langage. La syllabe, le mot lui-même ne le sont pas, à vrai dire, davantage. En ce qui con-

  1. Sievers, Grundzüge der Pronetik, p. 32.
  2. id., p. 33, 35.