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lier par une simple modification de la voyelle finale, par exemple, on dit au singulier bon avec o bref et relativement ouvert, au pluriel bôn avec o long et fermé. On pourrait faire beaucoup d’autres remarques intéressantes concernant les rapports entre le français écrit et le français parlé, et on peut dire que l’étude du français et de l’anglais, telle qu’elle est comprise dans les écoles, n’est guère propre à développer chez les enfants l’idée de rapports logiques entre les choses.

À mesure que la linguistique, depuis Bopp, qui se contentait de parler des lettres en général, a progressé, on s’est de mieux en mieux rendu compte de la nécessité de distinguer dans les langues l’écriture et l’articulation. La netteté avec laquelle aujourd’hui cette distinction est partout posée est une des meilleures preuves de la rigueur de méthode qui règne maintenant dans les recherches linguistiques et qui place à cet égard la science du langage incontestablement très près des sciences physico-chimiques.

Il est peut-être moins important de faire remarquer qu’on doit aussi distinguer l’articulation du son qui l’accompagne. En effet, le parallélisme entre le son et l’articulation doit toujours être à peu près complet, attendu que celle-ci est la cause immédiate de celui-là. Le parallélisme n’est pourtant, à rigoureusement parler, qu’à peu près complet. La preuve, c’est que, dans les traités de phonétique, on distingue parfois plusieurs espèces d’articulations là où il serait difficile d’établir une distinction en se fondant simplement sur le son. Ainsi l’r uvulaire ou r de la luette ne produit pas toujours un son facile à distinguer de l’r dental ou alvéolaire[1], et deux individus prononçant l’un l’r uvulaire, l’autre l’r alvéolaire remarquent rarement une différence entre leurs prononciations respectives. On peut constater sur soi-même qu’il est facile de modifier légèrement la position des organes dans une articulation, par exemple, la position de la langue dans le t, sans produire un changement de son appréciable. Ajoutons encore que la simplicité relative des sons produits, par exemple la simplicité relative des sons a, i, u, etc., ne correspond pas à une égale simplicité de l’articulation. Une autre raison de distinguer est encore celle-ci, sur laquelle nous aurons occasion de revenir tout à l’heure : c’est que les sons produits sont parfois discontinus, tandis que les mouvements articulatoires sont continus. La distinction de l’articulation et du son, quoique moins importante que celle des articulations et des lettres, n’est donc pas à négliger. On peut ajouter

  1. Sur ces distinctions, voy. un traité de Phonétique, par exemple Sievers, Grundzüge der Phonetik, 3e Aufle.