Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVI, 1888.djvu/345

Cette page n’a pas encore été corrigée


L’ÉVOLUTION PHONÉTIQUE DU LANGAGE


I

Pour comprendre l’évolution phonétique du langage, il importe de se rendre compte de ce que nous faisons quand nous articulons un mot. D’abord quelques distinctions sont indispensables. Il ne faut pas, par exemple, confondre la langue écrite avec la langue parlée. Cette distinction est surtout importante là où il existe une différence assez grande, comme en français et en anglais, entre la valeur attribuée dans l’alphabet aux lettres comme représentantes des articulations ou des sons et celle qu’elles ont réellement dans la prononciation de certains mots ; ainsi vent ne se prononce pas de la même manière dans « les oiseaux couvent » et « un couvent » ; e se prononce comme eu dans le, comme è ou é brefs, selon les pays, dans mettre ; on prononce œil comme on prononcerait euil ; au, ai, comme o, é ou è ; loi, comme loua, etc. C’est pire encore en anglais. Cela tient à ce que l’écriture, chose relativement artificielle, ne se développe pas parallèlement à la prononciation. Si l’on voulait se rendre un compte exact des transformations énormes que nous avons fait subir au latin, il faudrait écrire une page de français d’une manière logique ; on verrait alors combien peu le français actuel, bien que sorti en grande partie du latin, lui ressemble[1]. La grammaire que l’on nous fait apprendre dans les écoles est la grammaire de la langue française écrite et non pas celle de la langue parlée. Les règles pour la formation du pluriel seraient, par exemple, tout autres dans une grammaire de la langue française parlée que dans nos grammaires ordinaires ; ainsi, dans la langue parlée et si on fait abstraction des liaisons, la règle de l’s au pluriel est fausse : on prononce en effet homme et hommes, femme et femmes, etc., de la même façon ; ailleurs, le pluriel parlé se distingue du singu-

  1. Oculus est devenu dans le dialecte de certaines parties du département de la Manche u ; sing. l’u, plur. l’z u.