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« N’admettre comme vrai que ce qui paraît évident », selon le mot de Descartes, c’est bien en effet s’affranchir de l’autorité. Mais ce n’est là qu’une partie du principe cartésien : c’en est le côté négatif. Mais il y a une autre partie du même principe qui en est la partie positive. En effet, à côté du droit d’examen, il y a le devoir d’examen ; or ce devoir est absolu comme le droit. Lorsque Descartes fait appel à l’évidence pure, il n’entend pas par là seulement que nous devons nous affranchir des opinions d’autrui, pour ne plus penser que ce qui nous plaira. Il enseigne en même temps que nous devons nous affranchir des sens, de l’imagination et des passions, dont l’office n’est pas de nous faire connaître la vérité, et qui au contraire sont des obstacles à toute vérité. S’affranchir du joug intérieur de la passion, en même temps que du joug extérieur de l’autorité, voilà ce que comporte la règle de l’évidence. Dans la règle même donnée par Descartes le devoir est exprimé aussi bien que le droit, lorsqu’il dit : « Éviter la précipitation et la prévention. » La Recherche de la vérité, de Malebranche, où l’auteur étudie toutes les causes d’erreur, et notamment les sens, l’imagination et les passions, est le complément nécessaire du Discours de la méthode.

Il est à remarquer que ceux qui sont le moins disposés pour le droit d’examen sont les premiers à réclamer le devoir d’examiner. Sans cesse ils reprochent aux autres leur légèreté, leur ignorance, leurs préventions, leurs affirmations superficielles. Ils se plaignent qu’on juge leurs croyances sans les connaître ; ils protestent sans cesse contre les préjugés. « Qu’ils apprennent donc au moins quelle est cette religion, avant que de la combattre, » dit Pascal. C’est bien là un appel à l’examen. Mais en appelant l’examen, vous en reconnaissez par là même le droit. Vous ne pouvez en effet imposer le devoir d’examiner sans admettre en même temps le droit d’examiner.

Ainsi le droit d’examen suppose le devoir ; et le devoir d’examen suppose le droit. C’est un seul et même fait : ce sont les deux faces d’un acte indivisible ; et si je me demande ce qui est contenu dans cet acte, j’y trouve un principe absolu, à savoir : l’inviolabilité de la pensée. Qu’est-ce à dire ? C’est que je ne puis pas faire de ma pensée ce que je veux. Je ne puis pas, même le voulant, la soumettre à l’autorité d’autrui (sauf par des raisons que je crois bonnes et que j’ai acceptés comme miennes). Je ne puis pas davantage la subordonner à mes caprices, à mes désirs, à mes passions. Enfin, je ne puis pas voir la vérité comme il me plaît ; je ne puis la voir que comme elle est. Ma pensée est donc inviolable. Je ne puis pas la traiter