Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVI, 1888.djvu/339

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
329
JANET.introduction a la science philosophique

Voilà les droits de la croyance suffisamment garantis. Soit ; mais que deviendraient alors les droits de la science ? La philosophie serait alors réduite à n’être plus que l’exégèse, le commentaire de la vérité chrétienne et même catholique. Ce ne serait plus qu’une scolastique. Les plus grands penseurs n’auraient plus qu’à se taire. Un Spinoza, un Hume, un Kant ne seront plus que des sophistes qui n’auront plus le droit de cité en philosophie. Bien plus, les penseurs chrétiens ne seront pas eux-mêmes à l’abri de toute suspicion. Un Malebranche sera suspect parce qu’il incline au panthéisme, un Leibnitz parce qu’il pousse au déterminisme, un Pascal parce qu’il ne craint pas de se faire une arme du scepticisme, un Descartes lui-même parce que, par son automatisme, il a ouvert la voie à la doctrine des actions réflexes, si dangereuse pour la liberté humaine.

Ainsi, si l’on part de la science, on menace la croyance et la vie morale. Si on part de la croyance, on menace la science et on renie la philosophie. Qui démêlera cet embrouillement ? Essayons une solution.

Je ne crois pas que l’on puisse espérer de réconcilier la foi et la science, si l’on commence par les séparer. La foi sans la science est aveugle ; la science sans la foi est vide. C’est donc à l’origine même et dans le premier acte de science que l’on doit rencontrer les deux principes réunis l’un à l’autre dans une unité indivisible. Autrement l’on sera toujours en présence de ce dilemme : ou sacrifier la science à la croyance ou la croyance à la science. Je me demande aussi si l’on peut admettre deux certitudes hétérogènes d’origine différente, la certitude logique et la certitude morale, et s’il ne faut pas essayer de rétablir l’unité de certitude au principe même de la recherche.

Reprenons notre point de départ : nous sommes partis de l’idée de la science. C’est dans l’analyse de cette idée que nous devons trouver en même temps le principe de la croyance.

La science a pour objet de savoir, et l’objet du savoir est la vérité ; enfin la vérité n’a d’autre signe que l’évidence ; le seul moyen de découvrir l’évidence, c’est de la chercher, et le seul moyen de la chercher, c’est l’examen. De là ce principe que la liberté d’examen est la condition sine quâ non de la science.

La liberté d’examen n’est considérée en général que du côté négatif. On n’y voit autre chose qu’un instrument de division et d’anarchie, un principe d’individualité et de révolte. La liberté d’examen ne paraît autre chose que la liberté de ne pas penser comme les autres, de ne pas se soumettre à l’autorité, de ne pas accepter les opinions reçues. C’est là, en effet, un des caractères de la liberté de penser :