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liberté absolument absolue que l’on a dans les autres sciences. Mais où fixera-t-on la limite ? Car nous avons vu qu’il faut finir par en fixer une : sans quoi, il pourrait se faire que, sous couleur de libre pensée, on se réveillât un jour malhonnête homme.

En suivant le principe de la liberté philosophique, nous n’avons trouvé aucune solution de continuité, aucun point où pourrait intervenir une autorité, je ne dis pas extérieure et matérielle, mais morale et spirituelle, qui pût arrêter l’enchaînement des idées ; et nous avons dû aller jusqu’à la dernière limite, c’est-à-dire jusqu’à l’action même et jusqu’aux actions les plus révoltantes ; car pour d’autres actions, telles que celles qui concernent les mœurs, la conscience morale est beaucoup plus large et plus complaisante ; et le libertinage de l’esprit s’unit bientôt, comme au xviie siècle, au libertinage des mœurs. Il n’en est plus de même lorsqu’il est question du crime et du vol. Eh bien ! je le demande, est-ce suffisamment garantir la part légitime de la croyance dans l’âme humaine que d’attendre les derniers scandales et les dernières révoltes de la conscience en face du crime ? De là cette pensée naturelle que, pour garantir la pratique, il faut faire commencer beaucoup plus haut le droit de la conscience morale. Ce ne sera pas seulement dans cette action particulière que la conscience fera entendre son autorité ; ce sera au principe même de la loi morale. La loi morale ne s’imposera pas seulement par son évidence logique qui peut être contestée, mais par son évidence morale. Ce sera un devoir de croire au devoir. Mais la morale ainsi sauvée se suffira-t-elle à elle-même ? Sera-t-elle suspendue sans principe entre une métaphysique absente et une physique indifférente ? Ne faut-il pas à la morale un principe religieux ? La religion naturelle reviendra donc à titre de credo nécessaire : car n’est-ce pas un devoir aussi de croire à ce qui est le fondement du devoir, c’est-à-dire à Dieu ? Il semble que l’on ne soit pas forcé philosophiquement d’aller plus loin. Cependant ne peut-on pas dire encore que la religion naturelle, n’ayant d’autre fondement que les assertions obscures et contradictoires du sens commun, n’offre pas non plus, à son tour, une garantie bien solide, si elle ne s’appuie pas sur la religion révélée ? Le devoir de croire à la religion naturelle nous conduit donc à un autre devoir qui est de croire à la religion révélée, le seul fondement solide de la religion naturelle. On sait enfin que, dans la religion révélée elle-même, la certitude et l’autorité paraissent insuffisamment établies dans une Église qui prendrait pour principe le libre examen. D’où cette conséquence que la certitude morale n’est garantie que par l’adhésion au dogme catholique, et à l’autorité suprême et infaillible du chef de la catholicité.