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plus haute et plus profonde, soit enfin parce que des faits nouveaux exigent un examen nouveau.

Ainsi, dans la philosophie considérée comme science, la porte doit toujours rester ouverte pour les rectifications et les compléments de la vérité déjà découverte, aussi bien que pour l’invention des vérités cachées et encore inconnues. Les opinions philosophiques ne peuvent donc jamais arriver à l’état de dogmes absolus, soustraits définitivement à tout examen et à toute recherche ultérieure.

II

J’abrège ces considérations sur la liberté de penser en philosophie. Tout a été dit sur ce sujet. Il est inutile d’y insister davantage. J’ai hâte d’arriver au point où la théorie, vient se heurter contre une sorte d’impossibilité morale qui la forcera ou de s’arrêter ou de reculer.

L’appel à l’évidence, qui n’est autre que la liberté d’examen, peut-il s’appliquer aux matières morales aussi bien qu’aux matières religieuses ? Pourquoi pas ? Par la même raison que les vérités religieuses, les vérités morales ont le droit d’être « ajustées au niveau de la raison ». Descartes les comprenait sans doute parmi les vérités qu’il mettait en doute, puisqu’il se croyait obligé de se faire une morale provisoire ; c’est donc que la vraie morale était encore pour lui en suspens. De quelle morale d’ailleurs pourrait-on partir comme étant au-dessus de l’examen ? La morale vulgaire est tout ce qu’il y a de plus mélangé, de plus confus. C’est un composé hybride de devoir, d’intérêt, de plaisir, de sentiment, d’habitude, d’éducation, de qu’en-dira-t-on, de respect humain, etc. Dans ce mélange confus, comment trouver une doctrine s’imposant d’avance et à priori à toute analyse, à toute discussion ? Donc, nécessité d’examiner en morale comme autre partie de la philosophie ; même droit d’affirmer ce qui paraît évident, de nier ce qui ne le paraît pas. Par conséquent, même liberté pour la diversité des sentiments et des systèmes. Système utilitaire, système hédoniste, système sentimental, système de la volonté divine, etc., tous ces systèmes peuvent se présenter à côté du système du devoir et au même titre, philosophiquement parlant. Tant que nous restons dans le spéculatif, dans la région des principes et de la théorie pure, la morale ne se distingue pas des autres parties de la philosophie. Elle est matière à examen, à recherches, et par conséquent à disputes et à controverses ; et aucune doctrine n’a le droit de s’arroger à priori un privilège qui la soustrairait au libre examen.