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table ? Lorsque l’on parle par exemple de l’existence de Dieu, parle-t-on du fétiche des sauvages ou du Dieu unique et immatériel, du Dieu créateur ou du Dieu architecte ? et si l’on prend la moyenne des croyances, il reste quelque chose de si vague, qu’on se demande à quoi servirait de prendre là un point de départ de démonstration. Ce n’est pas à dire que l’existence de ces croyances dans l’espèce humaine ne soit un fait de la plus haute importance dont il faudra tenir compte dans la discussion des questions ; et c’est même ce qu’on appelle l’argument du consentement universel. Mais ce n’est qu’un fait qui entrera pour sa part dans l’argumentation ; ce n’est point là un axiome a priori servant de règle à la science, et en dehors duquel il ne sera pas permis de se mouvoir.

La philosophie ne doit donc pas plus partir d’un credo naturel que d’un credo surnaturel. En supposant qu’il y ait certaines croyances primitives et instinctives qui doivent résister à toutes critiques, c’est encore à la philosophie qu’il appartient de les constater, de les caractériser, de les distinguer et de les séparer des superstitions. Autrement, pourquoi ne partirait-il pas aussi de la croyance à l’apparition des esprits ? Il faut donc soumettre ces croyances à l’analyse et à l’examen. Or c’est précisément l’œuvre de la philosophie, et dans cette œuvre, elle doit être libre ; car, comment distinguerait-elle autrement la croyance légitime du préjugé ?

Voici cependant une question délicate et souvent débattue. Le droit d’examiner librement va-t-il jusqu’au droit de se tromper ? Devons-nous reconnaître le droit à l’erreur aussi bien que le droit à la vérité ? Je dis qu’on a droit à l’erreur, en tant que c’est le seul moyen d’arriver à la vérité. Sans doute, par l’examen on peut arriver à l’erreur ; mais sans examen on est sûr de manquer absolument la vérité : car si j’admets une vérité sans examen, comment puis-je savoir que c’est la vérité ? En quoi se distingue-t-elle de telle autre affirmation que d’autres admettent également sans examen et qui est cependant une erreur ? Sans doute j’ai en ma possession un moyen infaillible de ne pas me tromper : c’est de suspendre mon jugement ; c’est de ne rien affirmer du tout. Mais c’est ce qui est impossible. Pour la plupart des questions philosophiques, il faut que j’affirme. J’ai besoin d’affirmation pour conduire ma vie. D’ailleurs le scepticisme lui-même est encore une affirmation. Il ne faudrait pas même affirmer cela. Du droit d’examen combiné avec la nécessité d’affirmer résulte le droit à l’erreur. Car si je n’ai pas à ma disposition toutes les données nécessaires pour résoudre le problème posé, si par suite du milieu intellectuel où je vis, je ne vois