Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVI, 1888.djvu/33

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
23
G. TARDE.la dialectique sociale

qui réside dans le cerveau des individus, qui s’élève ou s’abaisse, dévie à droite ou à gauche, se tourne vers tel ou tel objet, suivant les époques ou les pays ; tantôt se réduit à une brise insignifiante, tantôt devient un ouragan, aujourd’hui s’attaque aux gouvernements politiques, hier aux religions ou avant-hier aux langues, demain à l’organisation industrielle, un autre jour aux sciences, mais ne s’arrête point dans son labeur incessant, régénérateur ou révolutionnaire. Ce besoin, ai-je dit, a été suscité et accru par une suite d’initiatives et d’initiations ; mais autant vaut dire par une suite d’imitations, puisqu’une innovation non imitée est comme n’existant pas socialement. Par conséquent, tous les ruisseaux ou les rivières de foi et de désir, qui se heurtent ou s’abouchent dans la vie sociale, quantités dont la logique sociale, sorte d’algèbre, règle les soustractions et les additions, — tous, y compris même le désir de cette sommation totale et la foi dans sa possibilité, sont dérivés de l’imitation. Car, rien ne se fait tout seul en histoire, pas même son unité toujours incomplète, fruit séculaire d’efforts conscients plus ou moins réussis. Un drame, il est vrai, une pièce de théâtre, fragment d’histoire où se mire le tout, est un accord logique difficile et graduel qui a l’air de se faire tout seul sans avoir été voulu par personne ; mais on sait que cette apparence est trompeuse, et cet accord ne s’opère si rapidement, si infailliblement, que parce qu’il répond à un besoin impérieux d’unité éprouvé par le dramaturge, et aussi par son public, auquel il l’a suggéré.

Il n’est pas jusqu’au besoin d’invention qui n’ait la même origine. À vrai dire, il complète le besoin d’unification logique et en fait partie s’il est vrai que la logique, comme il me serait facile de le montrer, soit à la fois un problème de maximum et un problème d’équilibre. Un peuple devient d’autant plus inventif et avide de nouvelles découvertes, à une époque donnée, qu’il a plus inventé et découvert à cette époque jusqu’au moment où sa veine s’épuise ; et c’est par imitation aussi que cette haute avidité gagne les intelligences dignes d’elle. Or les découvertes sont un gain de certitude, les inventions un gain de confiance et de sécurité. Le besoin de découvrir et d’inventer est donc la double forme que revêt la tendance au maximum de foi publique. Cette tendance créatrice, propre aux esprits synthétiques et assimilateurs, alterne souvent, parfois marche de front, mais en tout cas s’accorde toujours avec la tendance critique à l’équilibre des croyances, par l’élimination des inventions ou des découvertes en contradiction avec la majorité des autres. Tour à tour le vœu de majoration ou le vœu d’épuration de foi est plus pleinement satisfait ; mais, en général, leurs succès coïncident ou se suivent de près. Car, pré-