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JANET.introduction a la science philosophique

Il est donc évident que pour la philosophie comme pour les autres sciences, la seule règle c’est de n’affirmer qu’après l’examen, et au nom de l’évidence. La seule méthode vraiment philosophique est la liberté d’examen.

La philosophie ne peut donc pas accepter plus que les autres sciences d’être engagée à souscrire d’avance à un certain credo théologique. Elle ne peut admettre comme critérium la soumission aux vérités de la foi. Elle ira devant elle à ses risques et périls, ne consultant que la raison seule, et, comme le dit Pascal, « affirmant où il faut, doutant où il faut », sans se tenir cependant pour obligée de « croire où il faut ». Bien loin de considérer le doute comme une mauvaise note, elle y verra au contraire la vraie garantie de la liberté de l’esprit et de l’indépendance de la science. Si les résultats auxquels elle arrive sont insuffisants, eh bien ! la théologie prendra sa place si elle le peut ; c’est elle que cela regarde. La philosophie, envisagée comme science, n’a donc rien à voir avec la religion positive. Elle ne sait pas si elle est vraie, si elle est fausse. Elle ne s’en occupe pas.

En sera-t-il de même à l’égard de la religion naturelle, du déisme, dont les dogmes sont, comme on sait, l’existence de Dieu, la vie future, la loi morale, le devoir, la liberté ? Ici la question est différente. En effet, entre la philosophie et la théologie positive, il y a une différence de base. L’une repose sur la raison, l’autre sur la révélation. Il est donc facile de séparer l’une de l’autre. La raison n’est pas nécessairement engagée à affirmer ou à nier la vérité de la révélation. C’est un autre ordre d’idées, dont il est permis de faire abstraction en philosophie. Au contraire, la religion naturelle est une œuvre de la raison humaine, et en grande partie de la philosophie elle-même. La philosophie ne peut donc se soustraire à l’examen de la religion naturelle. Mais la question est de savoir si la religion naturelle doit être un postulat admis d’avance et dont il ne faut pas s’écarter, ou si c’est une conclusion à laquelle on peut arriver ou ne pas arriver suivant le succès qu’aura la démonstration.

Mais à quel titre telle ou telle doctrine pourrait-elle s’imposer d’avance à la raison sans lui permettre l’examen et sans attendre la démonstration ? Ces doctrines, dont nous parlons, sont en partie le produit de la raison philosophique. Elles ne peuvent donc être considérées comme antérieures à elle, et par conséquent comme principe. Elles ont pris d’ailleurs, en tant que croyances, toutes sortes de formes dans tous les temps et dans tous les pays. Laquelle de ces formes est la vraie et doit s’imposer comme postulat indiscu-