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JANET.introduction a la science philosophique

des doctrines sociales ou antisociales, religieuses ou antireligieuses, des diverses conceptions qu’on se fait de la moralité, enfin et même des doctrines littéraires et esthétiques. Dans tous ces cas, l’adhésion à telle ou telle doctrine n’est pas un acte de science ; c’est encore et la plupart du temps c’est surtout un acte de foi, parce qu’elle ne dépend pas exclusivement de l’examen, mais qu’elle est un résultat complexe dans lequel entrent l’instinct, l’éducation, le milieu, la réflexion, la sensibilité, l’imagination, en un mot l’homme tout entier.

Mais, si d’un côté l’homme a besoin de croyances, parce que, comme dit Voltaire, « il faut prendre un parti », d’un autre, en tant que raison pure, raison abstraite, l’homme veut savoir, se rendre compte, comprendre pourquoi il croit : or, c’est là précisément ce qu’on appelle philosophie. Ainsi l’antinomie de la science et de la croyance subsiste au point de vue de la philosophie aussi bien qu’au point de vue de la théologie.

Cette antinomie de la science et de la croyance est le fond de la philosophie moderne depuis Kant. Kant a saisi cette antinomie de la manière la plus profonde, et il en a fait le centre de sa philosophie. Dans la Raison pure, il a essayé de déterminer l’idée de la science de la manière la plus sévère. Dans la Raison pratique, il a essayé de déterminer le domaine de la croyance en s’appuyant sur le fait moral. Le philosophe écossais Hamilton, en Écosse, a exposé la même doctrine avec plus de sévérité encore, en retranchant de la science toute idée absolue, même à titre d’idée régulatrice, comme l’avait fait Kant, et en renvoyant l’idée d’absolu elle-même au domaine de la croyance. L’école éclectique qui avait cru d’abord pouvoir fonder scientifiquement sa philosophie à l’aide de la psychologie, a fini par renoncer à cette méthode trop lente, et elle a fait appel, pour résoudre les questions ultérieures et finales, à ce qu’elle appelait le sens commun, c’est-à-dire à cet ensemble de croyances naturelles ou acquises, qui appartiennent à tous les hommes civilisés dans le temps où nous sommes.

Nous voudrions, à notre tour, examiner à fond cette antinomie de la science et de la croyance. Parlons d’abord de l’idée de la science dans ce qu’elle a de plus clair et de plus précis. La science a pour objet la vérité, et non seulement la vérité en elle-même, mais la vérité aperçue et reconnue comme telle, la vérité en tant que notre intelligence lui est adéquate. À ce point de vue, Descartes a posé la règle suprême, que l’on peut appeler « la loi et les prophètes », en philosophie : c’est la règle en toutes les vérités, le critérium de l’évidence. La science doit recueillir tous les faits qui se présentent évi-