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n’arrivera par la raison seule à cet état de confiance absolue que l’on doit à la nature. Sans aller jusqu’à dire avec Pascal que la raison confond le dogmatisme, et que la nature confond le pyrrhonisme, il est certain qu’on n’arrivera pas par la raison à ce degré de dogmatisme que la raison nous impose.

Essayera-t-on donc au contraire de partir de la croyance ? Mais de laquelle ? Ici, il ne s’agit plus de foi positive, par conséquent de tel ordre de croyances propre à tel ou à tel pays. Personne non plus ne prêtera une autorité absolue, l’autorité de principes, à tel système de lois, ou à telles conventions sociales, différentes suivant les temps ou suivant les lieux, comme l’usage d’ôter ou de garder son chapeau dans un lieu saint. Il ne peut donc être question que de croyances communes à tous les hommes : il s’agira de ce que l’on a appelé la foi instinctive du genre humain. Mais y a-t-il une foi instinctive du genre humain ? y a-t-il des croyances universelles ? quoi de commun entre le fétichisme du sauvage et le monothéisme chrétien ? Et de plus, que de croyances universelles ont été démontrées fausses, telles que les sacrifices humains, l’esclavage, la légitimité de la torture, et, dans l’ordre physique, la croyance à l’immobilité de la terre et à l’impossibilité des antipodes ! Il faut donc soumettre ces croyances à la critique de la science, et par conséquent retomber dans la première méthode.

On voit que les deux procédés sont insuffisants. Et cependant il est certain que l’homme a besoin de savoir et qu’il a besoin de croire ; et, pour éviter toute équivoque, je n’entends pas seulement, par croire, admettre des idées morales et religieuses, plus ou moins semblables à celles que nous ont enseignées les religions positives ; j’entends par là toute forme de conviction qui ne dépend pas exclusivement de la raison et de l’examen, et qui est l’œuvre commune de la raison, du sentiment et de la volonté. Par exemple, les convictions politiques ne sont certainement pas chez la plupart des hommes le résultat d’un examen scientifique. Bien peu d’hommes ont le temps et les moyens de se faire des doctrines politiques par l’étude approfondie de l’histoire, et l’analyse des avantages ou des inconvénients attachés à telle ou telle forme de gouvernement ; bien peu aussi peuvent se rendre complètement compte de ce qu’il y a de bien ou de mal fondé dans les grandes mesures proposées par tel ou tel parti, par exemple, la séparation de l’Église et de l’État. L’opinion politique de chacun n’est donc pas exclusivement une œuvre rationnelle et scientifique ; mais chacun suivant sa situation, son éducation, les données de son expérience propre, choisit librement, entre les doctrines régnantes, celle qui lui agrée le plus. Il en est de même