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connue sous le nom de théologie. Les bases étaient la révélation, l’autorité de l’Écriture et des Saints Pères. La raison n’était employée qu’à expliquer et à défendre le dogme sacré. Néanmoins, par le parallélisme des matières et par l’analogie au moins partielle des méthodes, puisque la raison était employée de part et d’autre, la théologie et la philosophie se trouvèrent bientôt en présence, et bientôt aussi en conflit. Le débat se concentra sur ce point : les mystères, imposés par l’autorité et acceptés par la foi, sont-ils contraires ou supérieurs à la raison ? Si contraires, il y a rupture absolue entre les deux puissances ; s’ils sont seulement au-dessus de la raison, l’accord est possible, et la philosophie peut réclamer son indépendance, sans être entraînée à la révolte contre l’autorité. Telle fut jusqu’au xviie siècle l’attitude respective des deux sciences, et Leibniz faisait encore précéder la Théodicée d’un Discours sur la Conformité de la foi et de la raison, discours dans lequel il développait la fameuse thèse que la foi est supérieure à la raison, mais ne lui est pas contraire.

Cette explication est très plausible ; mais elle n’allait pas au point vrai de la difficulté. Ce point était celui-ci : faut-il partir de la raison pour aller à la foi, ou partir de la foi pour aller à la raison ? Si vous partez de la raison, vous partez d’un état d’esprit naturel, pour arriver à la foi qui est un état d’esprit surnaturel. Or, pouvez-vous passer, par la pure logique, du naturel au surnaturel ? Une croyance fondée par la raison sera-t-elle jamais autre chose qu’une croyance rationnelle, c’est-à-dire soumise à l’examen, à la révision, aux doutes qui peuvent naître de difficultés nouvelles comme dans toute recherche scientifique ? Peut-on arriver par là à ce caractère d’adhésion entière et absolue, qui appartient en propre à la foi ? — D’un autre côté, s’il faut partir de la foi comme d’un postulat antérieur à la démonstration, on peut demander de quelle foi il s’agit. Il est évident qu’en fait, chacun en particulier part de la foi dans laquelle il est né et dans laquelle il a été instruit en son enfance. Mais les croyances sont bien différentes suivant les pays et suivant les temps. Le fait d’être né ici ou là ne peut constituer aucun avantage en faveur de telle ou telle croyance, puisque le même fait vaut pour toutes : « J’eusse été près du Gange esclave des faux Dieux », etc. Il faut donc choisir entre les diverses religions, par conséquent leur appliquer l’examen, par conséquent soumettre la foi à la raison ; et nous retombons dans la première méthode, c’est-à-dire la foi cherchée par la raison, avec l’inconvénient grave que nous avons signalé : à savoir la disproportion du moyen avec la fin.

Mais laissons de côté ce premier débat qui n’est pas notre objet. Nous ne voulons pas insister sur le conflit de la foi et de la raison