Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVI, 1888.djvu/322

Cette page n’a pas encore été corrigée
312
revue philosophique

Quoi qu’il en soit, ces faits, comme tant d’autres non moins authentiques, peuvent-ils légitimer la croyance à la réalité d’un savoir non acquis par l’étude, ou, pour spécifier la question, une personne en état de somnambulisme peut-elle, par exemple, porter un diagnostic médical et donner des conseils thérapeutiques basés sur ce diagnostic ? Non certainement, si elle n’a pas fait d’études médicales. L’état somnambulique développe les facultés cérébrales, — probablement en les soustrayant à toute distraction intérieure et extérieure, — mais il ne les crée pas[1].

Le sujet magnétisé ou hypnotisé n’invente rien. Quand on le questionne, on constate qu’il se souvient mieux qu’à l’état normal de ce qu’il a vu, entendu, étudié et ressenti antérieurement ; que ses impressions sont plus vives et plus sincèrement manifestées. Sa supériorité consiste dans l’exaltation de sa mémoire. Il en est de même chez le somnambule naturel[2].

Mais celui-ci a, comme l’aliéné, des illusions et des hallucinations spontanées, tandis qu’à l’hypnotisé elles doivent être suggérées. Dans le somnambulisme naturel l’imagination joue le principal rôle : c’est un rêve en action. L’hypnotisé est un automate, entièrement passif ; l’autre est inspiré par sa propre imagination, sans qu’il soit besoin d’une influence étrangère, mais exposé aussi à la subir. Tel est le diagnostic différentiel que mes observations me permettent d’établir.

Maintenant, quel est le mode d’action des divers procédés au moyen desquels on réussit à produire l’état somnambulique ou hypnotique ? Est-ce une radiation nerveuse, une influence électro-magnétique, un effet de polarisation ?… Ces diverses causes n’en constituent-elles pas une seule ? L’avenir l’apprendra peut-être. Mais pour les cas d’influence à distance, exercée à l’insu du sujet, quel est le conducteur qui relie la personne agissante à la personne passive ? Comment cette influence atteint-elle le sujet visé et non tout autre ? Il est douteux que ce problème ait jamais une solution.

Je me suis borné à exposer des faits, abandonnant forcément leur explication théorique à l’évolution progressive de la science. Les conséquences graves qui en découlent, au point de vue philosophique et au point de vue juridique, n’échapperont à personne, surtout si l’on tient compte des suggestions à longue échéance, dont je n’ai pas eu à m’occuper ici.

Blois, mai 1888.
Dr Dufay.
__________________________________
Le Propriétaire-Gérant, Félix Alcan.

Coulommiers. Typ. Paul Brodard et Gallois.
  1. On a dit que le génie touchait à la folie. Il y a cette analogie entre l’homme de génie et l’aliéné que l’un et l’autre sont doués de la faculté créatrice : l’un par un don naturel, par une organisation supérieure congénitale, l’autre par suite d’une modification de l’harmonie organique, qui le porte à imaginer un monde nouveau, des rapports erronés entre les choses et entre les êtres.
  2. Mlle R. L… exprimait ainsi ce fait, en dédoublant sa personnalité, et dans le langage nègre qui lui était habituel en état de somnambulisme : « Moi ne comprend pas pourquoi la fille bête (c’est-à-dire à l’état normal) ne se souvient pas de cela ; moi le sait pourtant bien, moi en est tout à fait sûre. »