Quoi qu’il en soit, ces faits, comme tant d’autres non moins authentiques, peuvent-ils légitimer la croyance à la réalité d’un savoir non acquis par l’étude, ou, pour spécifier la question, une personne en état de somnambulisme peut-elle, par exemple, porter un diagnostic médical et donner des conseils thérapeutiques basés sur ce diagnostic ? Non certainement, si elle n’a pas fait d’études médicales. L’état somnambulique développe les facultés cérébrales, — probablement en les soustrayant à toute distraction intérieure et extérieure, — mais il ne les crée pas[1].
Le sujet magnétisé ou hypnotisé n’invente rien. Quand on le questionne, on constate qu’il se souvient mieux qu’à l’état normal de ce qu’il a vu, entendu, étudié et ressenti antérieurement ; que ses impressions sont plus vives et plus sincèrement manifestées. Sa supériorité consiste dans l’exaltation de sa mémoire. Il en est de même chez le somnambule naturel[2].
Mais celui-ci a, comme l’aliéné, des illusions et des hallucinations spontanées, tandis qu’à l’hypnotisé elles doivent être suggérées. Dans le somnambulisme naturel l’imagination joue le principal rôle : c’est un rêve en action. L’hypnotisé est un automate, entièrement passif ; l’autre est inspiré par sa propre imagination, sans qu’il soit besoin d’une influence étrangère, mais exposé aussi à la subir. Tel est le diagnostic différentiel que mes observations me permettent d’établir.
Maintenant, quel est le mode d’action des divers procédés au moyen desquels on réussit à produire l’état somnambulique ou hypnotique ? Est-ce une radiation nerveuse, une influence électro-magnétique, un effet de polarisation ?… Ces diverses causes n’en constituent-elles pas une seule ? L’avenir l’apprendra peut-être. Mais pour les cas d’influence à distance, exercée à l’insu du sujet, quel est le conducteur qui relie la personne agissante à la personne passive ? Comment cette influence atteint-elle le sujet visé et non tout autre ? Il est douteux que ce problème ait jamais une solution.
Je me suis borné à exposer des faits, abandonnant forcément leur explication théorique à l’évolution progressive de la science. Les conséquences graves qui en découlent, au point de vue philosophique et au point de vue juridique, n’échapperont à personne, surtout si l’on tient compte des suggestions à longue échéance, dont je n’ai pas eu à m’occuper ici.
- ↑ On a dit que le génie touchait à la folie. Il y a cette analogie entre l’homme de génie et l’aliéné que l’un et l’autre sont doués de la faculté créatrice : l’un par un don naturel, par une organisation supérieure congénitale, l’autre par suite d’une modification de l’harmonie organique, qui le porte à imaginer un monde nouveau, des rapports erronés entre les choses et entre les êtres.
- ↑ Mlle R. L… exprimait ainsi ce fait, en dédoublant sa personnalité, et dans le langage nègre qui lui était habituel en état de somnambulisme : « Moi ne comprend pas pourquoi la fille bête (c’est-à-dire à l’état normal) ne se souvient pas de cela ; moi le sait pourtant bien, moi en est tout à fait sûre. »