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société de psychologie physiologique

migraine périodique, il me préviendrait par un télégramme ; que je ferais de loin ce qui réussissait si bien de près ; qu’après cinq ou six heures je provoquerais le réveil, et que M. C., par un second télégramme, me ferait savoir si le résultat avait été satisfaisant. Lui n’en doutait pas ; j’avais moins d’assurance. Mme C. ignorait que j’allais m’absenter.

Des plaintes et des nausées, entendues de sa chambre, annoncent, un matin, à M. C. que le moment est arrivé ; sans entrer chez sa femme, il court au télégraphe, et je reçois sa dépêche à dix heures. Il rentrait chez lui à cette même heure et trouvait sa femme endormie et ne se plaignant plus. À quatre heures, j’avais la volonté qu’elle se réveillât, et, à huit heures du soir, je recevais ce second télégramme : « Résultat satisfaisant, réveil à quatre heures. Merci. »

Or, j’étais aux environs de Sully-sur-Loire, à 28 lieues — 112 kilomètres — de Blois.

Tout cela est-il possible ? Non certainement, si l’on n’admet comme possible que ce que l’on peut expliquer. Cette explication, je l’attendais avant de publier mes observations, écrites au jour le jour, sans but préconçu, mais je n’ai pu résister à l’invitation de M. Richet, et je me suis exécuté, sans avoir la prétention de fournir un apport bien important à la science psycho-physiologique moderne.

On pourra m’objecter que, dans ma dernière observation surtout, j’ai été dupe d’une supercherie ; qu’on s’est joué de ma crédulité en m’annonçant que les choses s’étaient passées comme je l’avais presque prédit. Je répondrai que ma crédulité est loin d’être exagérée ; que M. C. était un homme sérieux, incapable d’avoir eu la pensée de me tromper, et trop inquiet de la santé de sa femme pour ne m’avoir pas sollicité de venir immédiatement à son secours, — comme cela avait été convenu avant mon départ, — si les accidents, qui l’effrayaient au plus haut degré, avaient continué après le temps normal qu’il supposait nécessaire pour que je reçusse son premier télégramme.

Je ne mettais donc pas en doute la réalité de l’action à distance, — peut-être illimitée, — lorsque j’ai pris note de ce fait, il y a vingt-cinq ans environ. Aujourd’hui, j’admettrais plutôt, tant l’invraisemblance du récit me choque moi-même, que Mme C., au moment où la migraine et les nausées ont commencé, a pensé que son mari avait entendu ses gémissements et s’était hâté d’aller réclamer mon intervention, — puisqu’elle ignorait mon absence ; — que la persuasion où elle était que j’allais la soulager comme à l’ordinaire a suffi pour déterminer le sommeil par auto-suggestion, et que le réveil a eu lieu sous la même influence, après un temps sensiblement égal à celui pendant lequel je la laissais dormir habituellement. La concordance des heures serait une simple coïncidence, explicable d’ailleurs par l’hypothèse ci-dessus et par l’heure de départ du premier télégramme, sans rapport certain de cause à effet. Je regrette de n’avoir pas renouvelé l’expérience en la modifiant, c’est-à-dire en faisant croire à Mme C. que j’étais en voyage et ne pouvais être prévenu.