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merveilleusement. Je me demandai même si ce n’était pas mon souvenir qui lui suggérait la façon dont j’avais vu remplir par Mlle Plessy ce rôle de Mme de Léry si plein de finesse, d’esprit et de cœur. Était-ce plus impossible que de l’avoir endormie à distance et à son insu[1] ? Il y avait d’ailleurs une autre suggestion que j’avais dû lui imposer inconsciemment en lui ordonnant mentalement de jouer la comédie, c’était de se mettre en rapport avec les autres personnages de la pièce, puisque sans cela les somnambules ne voient et n’entendent que la personne qui les a endormies. Quoi qu’il en soit, je dus réveiller Mlle B., pour qu’elle pût prendre part au souper offert par le directeur enchanté[2]. Elle se rappela alors s’être jetée, au moment où elle venait de mettre un de ses gants, sur le divan où elle se retrouvait, et crut qu’on venait lui annoncer que le rideau se levait pour le Caprice. Ce n’est qu’en voyant ses camarades l’entourer et la féliciter de ses progrès qu’elle comprit ce qui s’était passé et me remercia du regard[3].

Dira-t-on qu’elle avait espéré mon arrivée, puis soupçonné ma présence ou au moins mon influence qui avait été d’autres fois si favorable à son talent, et que l’auto-suggestion avait encore là déterminé le somnambulisme ? Je n’ai vraiment rien à répondre.

Parmi mes autres malades auxquelles le somnambulisme provoqué causait un soulagement incontestable, il en est une dont l’histoire trouve ici sa place.

Mme C. était une brune de trente-cinq ans, d’un tempérament nervoso-bilieux, un peu rhumatisante. Elle avait été mère une fois, et,

  1. Après réflexion, j’admettrais plus volontiers que l’intelligence étant, comme la mémoire, très augmentée dans l’état de somnambulisme, Mlle B… n’a pas eu besoin du secours de mes souvenirs.
  2. Toutes les personnes que j’ai vues en état de somnambulisme, soit spontané, soit provoqué, étaient dans l’impossibilité d’opérer les mouvements de déglutition. Si c’est une règle générale, elle a au moins une exception, car la Félida de M. le Dr Azam ne passerait pas des mois en situation seconde sans prendre de nourriture.

    Si j’avais connu alors la possibilité de la suggestion, il est probable que j’aurais obtenu de mes malades qu’elles mangeassent. Il doit être aussi facile de faire cesser une anesthésie pharyngienne que de déterminer sur la peau, comme on l’a fait, l’apparition de stigmates sanglantes et de vésications.

  3. À propos de l’oubli de ce qui s’est passé pendant l’accès de somnambulisme, j’ai publié, dans le nº du 1er décembre 1883 de la Revue scientifique, l’observation d’une jeune domestique qui, ne trouvant pas en sûreté les bijoux de sa maîtresse dans le tiroir où elle les déposait, les cacha dans un autre meuble où ils lui paraissaient plus en sûreté. Accusée de les avoir volés, et malgré ses dénégations, — bien sincères, — elle fut incarcérée. Je la reconnus un jour, en faisant ma visite médicale à la prison, pour l’avoir vue en service chez un confrère. Sachant qu’elle était somnambule, je l’endormis, et elle me raconta ce qu’elle avait fait en dormant, se désolant de n’en avoir aucun souvenir lorsqu’elle est éveillée. Je lui fis répéter sa déclaration devant le juge d’instruction, qui, après vérification, la fit remettre en liberté.