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société de psychologie physiologique

il me suffit d’ordonner à Mlle B. de dormir, ou même de fixer mes yeux sur les siens, pour amener immédiatement un calme parfait ; de plus, les accès devenaient de moins en moins violents. Ils avaient été s’aggravant depuis deux ans, et Mlle B. avait remarqué, me déclara-t-elle, en dormant, que l’exacerbation avait commencé à la suite d’un moyen de traitement qui, à la vérité, mettait fin à l’accès, mais la laissait dans un état de prostration et d’anéantissement qui durait deux ou trois jours. Je compris qu’il s’agissait du procédé de Forestus. — Au contraire, elle se trouvait forte et reposée après une heure de sommeil magnétique.

J’ai dit tout à l’heure que j’étais arrivé à hypnotiser Mlle B. par la parole ou le regard, mais je pensais que cela ne pouvait réussir que si, sans contact à la vérité, j’étais cependant près d’elle ; et comme j’avais toujours observé que l’intelligence est beaucoup plus développée dans l’état de somnambulisme, il m’est quelquefois arrivé d’hypnotiser la très médiocre soubrette rien qu’en lui disant, au moment de son entrée en scène, qu’elle allait dormir, ce qui lui assurait un succès extraordinaire auprès du public. C’est même une circonstance de ce genre qui va la faire entrer dans mon sujet.

Un soir, j’arrivais tard au théâtre. Le directeur m’attendait avec anxiété au contrôle ; il avait interverti l’ordre des pièces et renvoyé le Caprice à la fin du spectacle, parce qu’un télégramme venait de lui annoncer que sa grande coquette avait manqué le train pour se rendre de Tours à Blois. Mais il comptait sur mon intervention pour lui substituer Mlle B., sans que la représentation en souffrit.

« Sait-elle au moins le rôle ? lui dis-je.

— Elle l’a vu jouer plusieurs fois, mais elle ne l’a pas répété.

— Lui avez-vous manifesté l’espoir que je pourrais venir à son aide ?

— Je m’en serais bien gardé : un doute sur son talent aurait suffi pour lui donner son attaque.

— Eh bien, qu’elle ignore ma présence. Je vais profiter de cette occasion pour faire une expérience intéressante.

— Je m’en remets complètement à vous, M. le docteur. »

Je ne me montrai pas sur le théâtre et me plaçai dans une loge grillée du fond de la salle, qui se trouvait inoccupée, et dont le grillage resta levé. Puis, me recueillant sérieusement, j’eus la volonté énergique que Mlle B. s’endormit. Il était alors dix heures et demie. J’appris, à la fin de la représentation, qu’à cette même heure la jeune artiste, interrompant sa toilette, s’était affaissée subitement sur le divan de sa loge, priant l’habilleuse de la laisser reposer un moment. Après quelques minutes de somnolence, elle se releva, acheva de s’habiller et descendit au théâtre. Quand le rideau se leva, je n’étais pas très rassuré sur le succès de l’expérience, ignorant à ce moment ce qui s’était passé dans la loge de l’actrice ; mais je ne tardai pas à être édifié, rien qu’à voir la démarche et l’attitude de mon sujet. Elle avait dans la mémoire ce rôle qu’elle n’avait pas appris, mais seulement vu jouer, et elle s’en acquitta