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Mais revenons à notre sujet, c’est-à-dire au sommeil provoqué à distance.

À une époque où j’étais médecin du théâtre de Blois, j’eus occasion de donner des soins à une jeune actrice chez laquelle se produisaient très fréquemment les manifestations protéiformes de la passion hystérique. Je laisse de côté les considérations purement médicales qui m’entraîneraient à une nouvelle digression, et je n’emprunte à mes notes que ce qui touche à la question spéciale qui m’occupe.

La première fois que je fus appelé près de Mlle B., je la trouvai assise sur un tapis, près d’un grand feu, les vêtements déchirés, prête, me dit-elle, « à se jeter dans le foyer, si je ne réussissais pas à calmer la fureur qui la transportait ». Je la questionnai sur la cause de cet accès de colère ; elle resta muette, les mâchoires serrées, les globes oculaires convulsés en haut, les membres rigides ; … puis une secousse brusque l’étendit sur le parquet, d’où je la transportai sur son lit, dans un état de roideur tétanique et d’anesthésie générale.

À peine ma main était-elle depuis une minute sur son front que la contracture musculaire disparut ; un déluge de larmes et une succession de profonds soupirs mirent fin à la scène, et la pauvre fille put se glisser dans son lit, en me faisant mille excuses et m’assurant de sa reconnaissance. Quant à la cause de sa grande fureur, elle n’en connaissait aucune. Elle chercha alors ma main et la reporta à son front, disant en éprouver un bien-être délicieux ; puis elle tomba dans un assoupissement que je laissai durer quelques heures, sous la surveillance d’une de ses camarades.

Je fus témoin de semblables accès sept ou huit fois pendant les deux mois que la troupe séjourna à Blois ; mais, dès la troisième visite,

    tendre, transformant la musique d’orchestre en accompagnement de piano. — J’avoue que la plupart du temps je n’avais pas entendu, au théâtre, la moitié des paroles.

    C’est encore dans le monde médical que je rencontre mon second exemple. Me trouvant un jour de passage à Vichy, je fus invité à dîner chez M. le Dr D. F. en compagnie de plusieurs confrères de divers départements. Après le dîner, le café et les cigares furent servis sur la terrasse italienne de la maison, au grand amusement du fils de notre confrère, — aujourd’hui médecin distingué, — qui pouvait avoir alors une huitaine d’années.

    « Vous ne vous figurez pas, disait son père, combien cet enfant a de dispositions pour la musique. Il n’a jamais pris de leçons, mais il a l’oreille si juste que, si sa sœur fait une fausse note en étudiant son piano, il se met à crier, comme si on lui marchait sur le pied. À force d’entendre faire des gammes, il a appris naturellement à en solfier les notes ; c’est tout ce qu’il sait. Eh bien, si l’un de vous, chers confrères, veut bien lui chanter une chanson de son pays, n’importe en quelle langue, notre bonhomme chantera ensuite les notes de l’air entendu. »

    Un convive méridional prit l’enfant sur ses genoux et lui chanta, en patois provençal, une chanson de l’autre siècle ; ce que le père avait annoncé se produisit l’enfant se mit à solfier les notes de l’air entendu, — le piano nous en donna la preuve.

    M. le Dr D. F. fils est devenu, paraît-il, un violoniste de grand talent.