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société de psychologie physiologique

lisme peuvent quelquefois refuser de répondre aux questions qui leur sont adressées, il leur est impossible de mentir.

Lorsque, deux heures plus tard, je vins la réveiller, elle nous répéta qu’elle n’avait pas lu une seconde fois les 102 vers qu’elle avait écrits de mémoire en dormant et dont elle ne pouvait se rappeler quatre de suite maintenant qu’elle était réveillée.

Déjà, l’année précédente, la même personne, excellente musicienne, m’avait rendu témoin d’un fait analogue. Une dame de ses amies avait reçu la partition d’un opéra nouveau et était venue la lui communiquer.

Ma cliente se mit à déchiffrer l’ouverture, qui la séduisit beaucoup, puis elle parcourut des yeux le premier acte, et, au bout d’une heure, l’amie remporta sa partition, promettant de la rendre dans quelques jours. Le lendemain, je fus accueilli avec l’exclamation suivante : « Ah ! docteur, si vous étiez venu hier soir, vous auriez entendu quelque chose qui vous aurait fait plaisir » ; et l’incident me fut raconté.

« Eh bien, dis-je, puisque vous avez joué cette ouverture que vous avez trouvée charmante, je vous serai reconnaissant de me la faire entendre.

— Mais je vous ai dit que je n’avais plus la partition ; croyez-vous qu’on puisse se rappeler huit ou dix pages de musique après une seule exécution ? Ah, oui, je devine : c’est encore une expérience que vous voulez faire. J’y consens ; attendez seulement que je fasse appeler mon mari, pour qu’il soit témoin de votre échec et se moque de vous.

— J’en suis, s’écria-t-il en entrant, et nous allons rire. »

Comme à l’ordinaire, une simple application de la main sur le front provoqua un sommeil immédiat ; la tête penchait sur la poitrine, mais une main ayant porté sur les touches du piano, la tête se redressa tout à coup, et des accords vigoureusement frappés annoncèrent le début du morceau. Du commencement jusqu’à la fin pas une seule hésitation. Le mari et moi, nous nous regardions avec stupéfaction. Jamais, dans la suite, avec la musique sous les yeux, l’exécution ne fut plus parfaite.

Lorsque, au moyen de quelques passes de dedans en dehors, derrière la tête, j’eus fait cesser le sommeil, l’artiste se retourna vers nous avec un air moqueur : « Eh bien, dit-elle en riant, j’étais bien sûre que votre expérience ne réussirait pas. » Nous eûmes beau lui affirmer qu’elle avait eu un plein succès, elle ne voulut pas le croire. Elle n’en convenait que lorsqu’elle était endormie de nouveau[1].

  1. La mémoire musicale est souvent très développée même à l’état normal, c’est-à-dire hors de l’état somnambulique. J’en trouve dans mes souvenirs deux exemples remarquables. J’ai été le camarade d’études médicales et je suis resté l’ami du Dr C., ancien chirurgien de l’Hôtel-Dieu et membre de l’Académie de médecine. Etudiants, nous avons habité ensemble une maison de la rue de Savoie. Il nous arrivait quelquefois d’assister à une première représentation d’opéra ou d’opéra-comique. En rentrant, je m’arrêtais chez mon ami, dont la chambre était située au-dessous de la mienne, puis il se mettait au piano et chantait la plupart des morceaux des rôles d’hommes que nous venions d’en-