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L’électrisation par influence n’est-elle pas une action à distance ?

Le sommeil hypnotique ne résulte-t-il pas d’une action à distance, de même que le sommeil magnétique déterminé par des passes sans contact, ou seulement par un ordre verbal[1] ?

Les sensations consécutives aux impressions visuelles et auditives ne sont-elles pas l’effet de causes plus ou moins éloignées ?

Oui, l’influence à distance est un fait incontestable, généralement parlant ; mais en est-il de même dans le cas spécial qui nous occupe, c’est-à-dire d’homme à homme, lorsque le sujet de l’expérience ignore la tentative faite sur lui[2] ?

Malgré ce qu’il a vu, malgré les précautions prises pour bien voir et n’être pas trompé, M. Ch. Richet reste perplexe ; il ne regarde pas la démonstration comme absolument convaincante, et il fait appel à de nouveaux expérimentateurs, dans le but de faire disparaître les doutes les plus logiquement fondés.

Or, je retrouve dans mes notes le récit de certains faits qui ont trait à cette question. Ils datent de loin déjà — vingt-cinq, trente et même quarante ans. Pourquoi ne les ai-je pas publiés à l’époque où j’en étais témoin ? C’est qu’alors tout médecin qui parlait de magnétisme passait pour un charlatan.

Ce n’est pas sans hésitation que j’ai livré à la publicité, en 1876[3], une observation de somnambulisme spontané, offrant un type remarquable de double personnalité, ou double conscience ; encore ne m’y suis-je décidé qu’à l’exemple de M. le Dr Azam, qui venait de faire connaître l’histoire de Félida, laquelle présentait tant d’analogie avec celle de Mlle R. L., sujet de mon observation. Et puisque je rappelle cette somnambule si extraordinaire, je puis aujourd’hui compléter son histoire en constatant que tout phénomène hystérique a cessé chez elle lorsqu’elle a atteint l’âge de la ménopause. Depuis lors, son sommeil est tout à fait normal. Mais, — commettrai-je cette indiscrétion ? — quoiqu’elle soit seulement septuagénaire, elle est dans un état d’affaiblissement, de dépérissement tel qu’elle quitte à peine son fauteuil, n’a plus d’appétit, et semble avoir plus de cent ans, comme si ses quarante années de somnambulisme, c’est-à-dire d’activité cérébrale incessante, devaient compter double[4].

Ce cas de somnambulisme spontané avait excité ma curiosité scientifique, et je ne pus résister au désir d’essayer à provoquer le sommeil magnétique lorsque j’en trouverais l’occasion. Je ne fis pas cette expé-

  1. On a hypnotisé par correspondance (Bernheim), par téléphone (Liégeois).
  2. Au point de vue physique la chose est bien certaine : les expériences de transfert de la sensibilité d’un membre à l’autre par l’approche — sans contact — d’un aimant caché à la vue du sujet en ont donné la preuve.
  3. Revue scientifique, 15 juillet 1876, p. 69, t.  XI de la 2e série, t.  XVIII de la collection.
  4. Au moment où je corrige l’épreuve de cet article, j’apprends la mort de Mlle R. L., qui s’est éteinte doucement sans souffrance.