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nature, son essence, qui est ce que l’a fait cette expérience accumulée. « L’expérience est la loi de l’évolution cosmique ; elle s’identifie avec le développement de la vie et de l’esprit. Ainsi considérée objectivement, l’expérience, dans sa première forme biologique, est la simple réaction de la substance organique à un stimulus externe. C’est là le principe de tout développement organique, vital, psychique. Grâce à elle, tout s’explique, tout se relie, tout s’identifie. Pour la vie et pour l’esprit, la raison statique et la raison dynamique se rejoignent ; la séparation disparaît entre les faits psychiques et les faits biologiques, entre les sens et l’intelligence. La psychologie ne va plus sans la psychogénie. De la simple réaction de la sensibilité à l’anticipation mentale de l’avenir, de la vie isolée et peu étendue de l’être cellulaire à la vie la plus compliquée, la plus riche en rapports, de l’être social, nous voyons partout l’œuvre de l’expérience accroissant progressivement ses facteurs, dans une évolution qui est tout à la fois une organisation et une transformation. Nous voyons ainsi naître, de la combinaison expérimentale des éléments de la sensibilité, les facultés et les produits d’une signification supérieure. L’imagination, la raison, sont la continuation du même processus fondamental de la distinction et de l’assimilation. La raison, la science, la morale, les facultés de l’esprit et ses produits, sont des résultats de l’expérience historique, et, par-dessus tout, de l’expérience collective. M. Angiulli insiste avec raison sur ce dernier point, et il nous montre, avec une réelle ampleur d’exposition et d’argumentation, qu’au fond de toute idée, de tout sentiment religieux, moral, esthétique, réside, en même temps qu’une donnée de l’expérience sensible, une donnée de l’expérience sociale et historique.

L’expérience, ainsi entendue, permet de résoudre le grand problème, autrefois problème subjectif par excellence, des concepts et des catégories. Le phénomène est la seule réalité, et tout s’y ramène. Les principes supérieurs de l’esprit ne sont pas autre chose qu’une organisation des faits élémentaires de la sensibilité. Rien, dans l’intelligence, qui n’ait été dans les sens, sans en excepter l’intelligence elle-même. L’universel, le nécessaire, l’éternel, sont des abstractions de notre esprit, extension mentale, symbolique, du phénomène visible et sensible. Les mots d’espace et de temps, de matière et de force, de substance et de cause, désignent, sous des formes abstraites, les modes des relations concrètes des objets.

De cette explication expérimentale des concepts résulte une vérité de la plus haute importance, et que M. Angiulli a été un des premiers à mettre en lumière. Ni Comte ni Spencer n’ont convenablement entendu la relativité de la connaissance. C’est une relativité de degré, non de nature. Que vient-on nous parler d’inconnaissable, d’inconnu par essence, de réalité différente de la réalité ?

« La supposition d’un autre monde différent du nôtre dans toute son essence est en elle-même absurde. Elle provient de ce qu’on imagine notre monde dégagé des liens de la réalité. Où finit notre monde ? Pour