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réalité de son objet, parce que seule elle a pour condition la perception de son objet. La célèbre preuve ontologique de l’existence de Dieu se réduit à un cercle vicieux, quoique pour d’autres motifs que ceux allégués par Kant. L’idée de Dieu contient bien l’existence ; mais elle n’a en cela aucun privilège. Il en est de même de toutes nos idées de substances.

L’être d’une chose n’est pas un attribut qui s’ajoute à l’essence de cette chose. Des essences indifférentes à l’existence, pouvant également bien être ou ne pas être, sont tout à fait inconcevables. Un être n’est pas fait de deux morceaux : l’essence et l’existence. Par suite la possibilité se confond avec la réalité. Ce qui n’est pas réel, n’est pas possible. Toutefois il ne faudrait pas conclure que la réalité d’un être peut être connue a priori, qu’on peut décider s’il existe ou non par le simple examen de sa notion. C’est l’erreur où est tombé Leibniz à l’égard de la preuve ontologique. La réalité et la possibilité sont inséparables, mais c’est par la première qu’on connaît la seconde. La méthode inverse nous est interdite. L’expérience seule nous apprend ce qui est possible, parce que le réel seul est possible.

Tout être est nécessairement perceptible ou mieux encore est actuellement perçu. Tout être est parfaitement déterminé : il n’existe pas d’indiscernables. Tout être existe dans le temps et est soumis au changement. Tout être est simple, indivisible. Aucun être ne saurait commencer ou cesser d’exister. Tous les êtres s’unissent pour constituer un être unique : le monde. Tout être est une substance avec des accidents, mais les accidents ont avec la substance une liaison nécessaire. Toute existence présente une parfaite continuité ; la contingence du changement n’est qu’une apparence, le changement qui se produit dans un être s’y produit nécessairement. Le changement, d’ailleurs, affecte l’être tout entier ; c’est la substance même qui change. Pourtant l’individualité d’un être et ses caractères spécifiques persistent sans altération. Enfin la substantialité, identique à l’existence, implique la causalité. Toute substance est une cause.

Voilà quelles sont a priori les déterminations nécessaires du concept de l’être. Il est facile de voir que les esprits seuls existent réellement et que les corps n’ont qu’une existence apparente. En effet tous les caractères énumérés plus haut se retrouvent chez les êtres pensants, la plupart au contraire manquent chez les corps. Le matérialisme et même le dualisme sont insoutenables. La seule métaphysique possible est un spiritualisme exclusif. D’ailleurs on peut aller plus loin encore et démontrer a priori que tout être réel est conscient. L’être est par essence perceptible. Une substance ne saurait exister sans être perçue. D’autre part il est inadmissible que la réalité d’une substance consiste en ce qu’elle est perçue par une autre. Il faut donc que toute substance se perçoive elle-même, qu’elle soit une conscience ou un moi. Nous retrouvons ainsi par une autre voie les résultats précédemment obtenus. La déduction a priori confirme les conclusions auxquelles nous avait amenés la critique de la perception.