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tout. Le kantisme est donc logiquement identique au scepticisme et l’on y aboutit forcément quand on refuse au moi une réalité absolue.

Une semblable négation est d’ailleurs absolument dénuée de motifs. En fait chacun de nous croit être un moi, un être réel qui se perçoit lui-même. Pour rejeter cette croyance il faudrait avoir des raisons. Sans doute nous croyons aussi que les corps sont des êtres et cette opinion a été démontrée fausse. Mais les deux cas sont loin d’être identiques. L’être en soi et l’être perçu sont contradictoires, quand il s’agit de la perception par autrui ; la contradiction n’est plus à craindre en ce qui concerne la perception par soi-même. On ne peut conclure par analogie de la matière au moi. Ce qui serait contradictoire c’est que le moi se perçût sans exister. Ainsi que l’a reconnu Descartes, l’apparence de la conscience implique sa réalité. Je crois me percevoir moi-même ; si cette perception n’est qu’une apparence, au moins cette apparence est-elle perçue. Je me perçois en tant que je crois me percevoir. Si cette nouvelle perception de soi n’est encore qu’une perception apparente, elle en implique encore une autre et cela à l’infini. Mais, par ce recul incessant, l’adversaire ne gagne rien. Une apparence n’a d’existence qu’en tant qu’elle est perçue ; car dans l’hypothèse où nous nous plaçons l’apparence de la perception de soi existerait sans être en définitive perçue par rien. Il n’y a qu’un moyen d’échapper à cette conclusion : c’est de nier la réalité du moi et de refuser d’en admettre l’apparence. Par là le scepticisme se rend irréfutable. On ne peut réfuter celui qui n’accorde rien. Mais prendre ce parti, c’est sortir des conditions d’une discussion sérieuse.

Le moi existe donc. C’est un être réel, non une pure apparence, et la conscience qui le perçoit, perçoit son être même. On peut pourtant se demander encore si elle perçoit cet être tel qu’il est, si elle atteint ses véritables déterminations. Ce dernier doute est facile à lever. Au fond il est incompatible avec les conclusions auxquelles nous sommes parvenus. Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler que le moi est seulement ce que la conscience saisit, non le substrat hypothétique des phénomènes conscients. Si des philosophes ont pu douter que le moi se connaisse lui-même ou qu’il se connaisse tel qu’il est, c’est qu’ils n’ont pas su distinguer le moi de la conscience de ce malencontreux substrat conçu à l’image de la matière. La conscience perçoit le moi réel avec ses accidents réels. Les opérations dont nous avons conscience sont des opérations véritables, des changements réels du moi et non de simples signes de ces changements. Puisque le moi n’est jamais saisi que dans ses opérations, douter de leur réalité serait douter de celle du moi. Une conséquence importante de ces affirmations, c’est que le temps où s’accomplissent les opérations du moi est réel comme elles-mêmes. Le parallélisme établi par Kant entre le temps et l’espace ne se soutient pas. L’espace, comme les corps, n’a qu’une existence idéale ; le temps participe à la réalité du moi. Cela résulte évidemment de la notion même du moi telle que l’auteur l’a exposée. Si l’essence de la conscience