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ANALYSES.j. bergmann. Vorlesungen ueber, etc..

tendement, on ne sait trop comment, viendrait par la suite éclairer.

Pourtant la notion du moi contient une réelle antinomie. Le mérite de l’avoir mise en lumière revient à Herbart. On peut définir le moi : ce qui se représente soi-même. Or une semblable représentation semble manquer à la fois de sujet ou d’objet. Le moi connaît le moi. Si au dernier terme de cette proposition nous substituons sa définition, nous aurons : le moi connaît ce qui connaît le moi. Le terme qu’on voulait définir reparaît de nouveau. Il faut substituer encore et nous avons alors : le moi connaît ce qui connaît ce qui connaît le moi. On pourrait continuer ainsi indéfiniment. L’objet de la connaissance fuit en quelque sorte devant nous. Si au lieu de nous demander quel est l’objet de la connaissance de soi nous en recherchons le sujet, le même phénomène se produira en sens inverse. L’auteur expose avec beaucoup de force et discute longuement cette difficulté. Il ne peut accorder à Herbart que la contradiction soit réelle et que par suite le moi n’ait qu’une existence apparente. Il admet la nécessité où est la représentation du moi de se développer linéairement dans les deux sens ; mais ce développement ne lui semble pas une impossibilité. C’est pour lui l’expression nécessaire de la nature intime du moi. La vie du moi est un processus sans commencement ni fin, où chaque moment se comporte comme sujet par rapport au précédent et comme objet par rapport au suivant. D’ailleurs dans aucun de ces moments la conscience n’est simplement conscience de soi. Elle est toujours en outre conscience de quelque autre chose. Par suite le moi objet et le moi sujet ne sont jamais rigoureusement identiques, quoique à tout instant de la durée le moi soit à la fois sujet et objet.

Ainsi se trouve écartée l’apparence de contradiction que présente le concept de la perception interne. Cette perception saisit-elle l’être même du moi ? Il faut, semble-t-il, l’accorder si l’on veut éviter de tomber dans un scepticisme absolu d’ailleurs contradictoire. Si la perception interne ne saisit pas l’être et si toute idée doit, en dernière analyse, venir de l’intuition, nous ne saurions avoir l’idée de l’être, ni l’idée corrélative de la représentation. Au fond, selon la remarque de Beneke, Kant a renouvelé le scepticisme de Protagoras. Si en nous et hors de nous nous ne percevons que des apparences, toute science est impossible. Il ne saurait y avoir une science de l’apparence ; tout au plus peut-on concevoir une science du sujet de l’apparence en tant qu’il la subit. Il est vrai que Kant admet l’universalité de l’apparence pour tous les hommes, mais c’est là de sa part une assertion toute gratuite et, dans l’hypothèse où il se place, à jamais invérifiable. Il distingue l’apparence (Schein) et le phénomène (Erscheinung) ; mais, pour qui s’interdit toute connaissance de l’être, une telle distinction est dénuée de sens. Entre l’être et le paraître il n’y a pas de milieu. Sans doute Kant ne nie pas l’être. Il le conserve sous le nom de chose en soi. Mais c’est pour lui un concept vide et il ne nous enseigne nulle part à le distinguer de celui du Rien. C’est, dit-il, une notion limite ; mais une notion, quelle qu’elle soit, doit avoir un contenu. Une notion vide n’est pas une notion du