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ANALYSES.j. bergmann. Vorlesungen ueber, etc..

Ainsi le monde des corps nous apparaît comme soumis aux lois que l’entendement édicte pour les réalités, et les changements qui s’y produisent sont coordonnés par nous à des changements réels. On peut expliquer ces faits de trois façons différentes. On peut admettre que le monde des corps se confond avec le monde des choses en soi, on peut voir dans le premier une image du second, enfin on peut concevoir entre eux une correspondance continue, un parallélisme analogue à celui du langage parlé et du langage écrit. Les deux premières hypothèses ont été démontrées fausses ; nous devons en conséquence nous en tenir à la dernière.

La perception extérieure ne nous donne aucune intuition de la réalité ; elle nous permet seulement d’entrevoir, à travers les symboles sensibles, les rapports intrinsèques des êtres réels et les changements que subissent ces rapports. La perception interne sera-t-elle plus instructive ? Chacun de nous entend par moi cet objet qui est identique au sujet lui-même. Le moi est cela et cela seul. Mon moi est ce dont j’ai conscience ; il est cette conscience même. La réflexion sur soi n’est pas pour la conscience un simple accident. Le sujet de la connaissance se connaît nécessairement lui-même. Il n’est pas comme une lampe qui peut sans doute s’éclairer elle-même, mais qui subsiste et même éclaire indépendamment de cette circonstance. En tant que nous en avons la perception, le moi n’est pas autre chose que cette perception même. Il est tout entier conscience de soi. Une pensée inconsciente serait la conscience en tant qu’elle ne se saisirait pas elle-même. Une âme distincte de la conscience et qui la produirait ne serait pas plus moi que mon corps. Néanmoins le moi conscient ne se perçoit jamais sans percevoir en même temps un contenu différent de soi. Ce contenu comprend deux parties distinctes : les accidents du moi et le non-moi. Le contenu de la perception extérieure est aussi nécessairement un contenu de la perception interne. Par suite la relation du moi aux objets est double. Il forme avec eux le contenu total de la perception en même temps qu’il s’oppose à eux comme sujet. C’est grâce à ses rapports avec le corps propre que le moi se coordonne aux objets. Kant a méconnu ce fait, mais Spinoza, Fichte, Schopenhauer, l’ont mis en lumière. Des êtres qui ne localiseraient pas leurs sensations dans leur propre corps ne distingueraient pas le moi du non-moi. Ils ne s’élèveraient point à la perception et demeureraient purement sensitifs. La conscience, d’ailleurs, ne saisit pas seulement les perceptions. Elle atteint les opérations plus élevées dont les perceptions sont la matière : conception, jugement, raisonnement, etc. Elle perçoit aussi les sentiments ou les modes du désir. Au sens ordinaire du mot, le désir implique une représentation de l’avenir, mais plus généralement c’est un état de l’âme agréable ou désagréable qui accompagne la perception ou, pour mieux dire, en est un mode. Le sentiment ne s’ajoute pas à la conscience de soi comme un accident pur et simple, c’est l’acte même de la conscience en tant qu’il est agréable ou pénible.