Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVI, 1888.djvu/283

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
273
ANALYSES.j. bergmann. Vorlesungen ueber, etc..

attachée. L’individu serait-il l’atome ? Un atome étendu n’a encore qu’une apparence d’unité. Un atome inétendu n’a plus rien de la matière.

Donc la matière n’existe pas. La perception ne saisit aucune substance véritable, mais seulement des semblants de substances. Est-ce à dire qu’il n’y ait rien hors de nous et qu’il faille donner raison à l’idéalisme extrême ? Ce n’est point là une conclusion qui s’impose. Le monde des corps est un monde d’apparence ; mais ces apparences peuvent être produites dans le sujet par l’action de causes réelles, seulement ces causes ne sont pas des corps. Elles ne sont pas non plus des êtres inconnaissables qui se cacheraient en quelque sorte sous les corps, qui se présenteraient à nous comme sous un déguisement. Cette hypothèse est même au fond dénuée de sens.

Les causes de nos perceptions, les êtres réels qui produisent en nous les apparences sensibles sont ce que Kant a appelé les choses en soi. Le principe de causalité nous oblige à en affirmer l’existence. L’auteur sur ce point est d’accord avec Kant. On a reproché à celui-ci de contredire par cette affirmation sa doctrine générale sur la portée des catégories. Mais c’est qu’on a mal interprété cette doctrine. Kant n’a dit nulle part que les catégories sont seulement des lois du phénomène. Cette théorie est si peu la sienne qu’il ne leur donne jamais cette signification. Au contraire il les applique à plusieurs reprises aux choses en soi. Ce sont les schèmes seuls dont la portée est limitée par lui au monde phénoménal. S’il soutient que les choses en soi sont inconnaissables, ce n’est pas parce que les catégories leur sont inapplicables ; mais c’est que nous n’avons aucune intuition de ces choses, et que, hors de l’intuition, l’application des catégories ne produit aucune connaissance. Par leur subsomption sous les catégories les choses sont pensées, mais non connues. Cette dernière thèse est contestable, mais le reproche de contradiction n’est fondé sur rien. Mettre en doute que nos perceptions aient des causes, c’est abuser de la critique.

Après avoir admis que nos perceptions ont des causes, il reste à prouver que ces causes sont hors de nous. On a reproché à cette doctrine de contenir une contradiction interne. La chose en soi, a dit Fichte, devra être pensée comme indépendante de la pensée qui la pense. Mais cette objection s’applique également à l’hypothèse qu’il fait d’une force qui s’oppose au moi et lui donne un choc. Il le reconnaît d’ailleurs et se voit amené à dériver cette force du moi lui-même. Néanmoins la difficulté n’est pas levée, car la nécessité d’un premier choc apparaît de nouveau. C’est un cercle que l’on peut étendre à l’infini, mais dont on ne peut sortir. S’en tenir là, n’est-ce pas prendre son parti de la contradiction ? Si l’on pose en principe qu’un être ne peut subsister en soi et être pensé par un autre être, nous devons nier toute réalité différente de notre propre moi et nous sommes condamnés à ne jamais sortir de nous-mêmes. Mais ce principe est-il vrai ? Il y a contradiction à ce que l’objet de la sensation ou de l’intuition existe en soi, parce que cet objet n’est, par hypothèse, que ce qu’il est dans la conscience ;