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ANALYSES.j. bergmann. Vorlesungen ueber, etc..

sons l’objet comme réalité substantielle. L’abstraction peut distinguer ces deux opérations, en fait l’une n’a jamais lieu sans l’autre. C’est pourquoi l’auteur préfère appeler intuition (Auschanung) ce que Kant appelle représentation (Vorstellung), et réserver ce dernier terme pour désigner l’acte final auquel concourent la sensation, l’intuition et la pensée, la position de l’objet comme réalité corporelle.

La perception est une pensée parce qu’elle contient comme élément nécessaire la position d’un objet et peut, par suite, être vraie ou fausse. L’alternative du vrai ou du faux est pour l’auteur la marque distinctive de la pensée. N’est-ce point là confondre la pensée avec le jugement ? Seul, d’après la plupart des philosophes, le jugement comporte la possibilité de l’erreur. L’auteur entre, à ce propos, dans une digression assez longue mais intéressante sur la théorie du jugement. Le jugement, d’après lui, est un processus critique qui, comme tel, ne saurait être primitif, mais suppose une activité intellectuelle antérieure, dont il juge les résultats. Cela est évident surtout pour le jugement négatif. Ce jugement n’a ni un sujet négatif, ni un attribut négatif ; la négation est simplement le rejet d’une représentation proposée, la reconnaissance de sa non-validité. L’affirmation est le contraire de la négation. C’est la confirmation d’une position (Setzung) antérieure. Ce jugement : Il y a un serpent de mer, confirme, reconnaît comme valable la position d’un serpent de mer. Ce qui nous trompe à cet égard, c’est que le langage n’a pas de signe spécial pour l’affirmation comme il en a pour la négation.

Le jugement suppose une forme antérieure de l’activité intellectuelle, une position (ein Setzen) des choses et de leurs déterminations que le jugement confirme ou rejette. D’ailleurs la position des déterminations implique celle des choses qu’elles déterminent. Une chose n’a de qualité qu’en tant qu’elle est. Le serpent de mer a des poils, le serpent de mer n’a pas de poils ; ces deux propositions sont également fausses. Or l’activité intellectuelle qui précède le jugement et rend le jugement possible n’est autre chose que la perception. La perception n’est pas, comme le jugement, un travail de l’entendement sur le contenu de la conscience, mais, ce que suppose tout travail de cette sorte, la prise de possession de ce contenu.

Toutefois cette prise de possession n’a pas lieu, comme l’a pensé Kant, après que les représentations sont formées. Elle se confond avec leur formation même. Nous n’avons pas d’abord des représentations subjectives complètes, que nous objectivons par la suite. En même temps que nous localisons nos sensations dans l’espace, nous les rapportons à un objet ou plutôt nous les localisons parce que nous les rapportons à un objet étendu. L’intuition de l’espace n’est pas indépendante de l’entendement ; elle est au contraire produite par lui. Autrement la certitude absolue de la géométrie serait inexplicable. Elle ne se comprend que si l’entendement se donne à lui-même l’intuition de l’espace. Du moment que cette intuition ne procède pas de lui, qu’elle lui vienne