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due. Il n’est pas davantage situé en un point de l’espace. Il serait ridicule de lui assigner un lieu, si par moi on entend en effet le sujet conscient, non le substratum matériel ou immatériel qu’on lui suppose. Ueberweg a cru impossible de comprendre qu’un sujet inétendu puisse se représenter l’étendue. Il a repris la thèse de Spinoza, l’a développée et complétée. Mais ses efforts ingénieux n’ont abouti qu’à en faire plus clairement ressortir l’inconsistance.

L’intuition de l’espace est impossible sans la sensation. Inversement, celle-ci n’a jamais lieu sans celle-là, au moins pour les sens qui perçoivent directement l’étendue : la vue et le toucher. Ces deux processus intimement liés entre eux sont deux éléments intégrants de la perception extérieure, mais ils ne suffisent pas à la constituer. Pour percevoir un corps, il faut rapporter les qualités que les sens nous révèlent à un être ou à une substance. Or cette substance elle-même, les sens ne l’atteignent pas. Rien dans la perception ne vient s’ajouter au contenu sensible de l’intuition. La substance n’est pas, comme les qualités, un mode de notre conscience. Le substratum de l’étendue de la résistance, de la couleur n’est pas saisi immédiatement par l’esprit. Il n’y est d’ailleurs représenté par aucune image. Jamais personne ne l’a vu ni entendu, ou touché, si l’on désigne par ces termes les opérations des sens. La matière, support de tout ce que nous percevons, échappe elle-même à la perception.

Comme la substantialité, la causalité est identique à l’être. C’est avec raison que Platon a défini l’Être ce qui peut agir et pâtir. Si la substance des corps échappe à la perception, sa causalité doit y échapper aussi. L’une et l’autre sont conçues et non perçues.

Déjà Platon reconnaît que la substance n’est rien de sensible. Descartes le démontre à son tour par l’exemple célèbre du morceau de cire. Ses doutes sur la réalité des corps prouvent qu’à son avis la causalité échappe elle aussi à la perception. Locke suit Descartes pour la substance, au moins dans ses négations, mais il croit que l’idée de cause est donnée à la fois par la sensation et par la réflexion. Berkeley le premier établit que les sens ne peuvent nous fournir cette idée. Hume prouve péremptoirement qu’ils n’atteignent ni la substance ni la cause. Mais il se sépare de Descartes et se rapproche de Locke en ce qu’il tient ces notions pour accidentelles, qu’il se refuse à admettre qu’elles soient nécessairement impliquées dans la perception externe. Avec Kant la question entre dans une phase nouvelle. Ce philosophe distingue la représentation, processus aveugle par lequel les images se forment dans la conscience et la pensée, activité par laquelle le moi rapporte ces images à des objets. La représentation comprend d’ailleurs outre la sensation la localisation dans l’espace des impressions senties.

L’auteur admet la distinction de Kant, mais lui reproche d’en exagérer la signification. Pour Kant, la formation de l’image est un processus complet en soi, qui préexiste à la pensée et en est indépendant. Pour l’auteur, la représentation est inséparable de l’acte par lequel nous po-