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tion qui reste la même, que son objet existe ou non. Le jugement d’existence ne porte pas sur les choses, mais sur nos représentations. Dire qu’une chose existe, c’est dire que sa représentation est une représentation valable. L’auteur combat cette manière de voir. Sans doute l’existence n’est pas une détermination nouvelle qui s’ajoute à la représentation, mais c’en est un moment nécessaire : c’est le moment indispensable de toute représentation. Une chose que nous nous représentons peut ne pas exister, mais nous ne pouvons nous la représenter que comme existante ce qui n’est pas n’a aucun attribut ; la représentation de l’être est le noyau de toutes les autres.

Ainsi la métaphysique a un objet. Cet objet est-il assez complexe pour fournir la matière d’une science ? Une science ne saurait se réduire à la solution d’un problème unique. Mais la question de l’être renferme une multitude de questions. L’être est en rapport avec la représentation. En quoi consiste ce rapport ? Tout être est une substance avec des accidents. Qu’est-ce que l’unité, la substance, l’accident ? Les êtres changent, ils agissent les uns sur les autres, ils sont des forces ou des causes. Qu’est-ce que le changement, qu’est-ce que l’action, qu’est-ce que la causalité ? Nous percevons hors de nous l’étendue et en nous la pensée ; l’étendue et la pensée sont-elles deux attributs de l’être, ou existe-t-il deux classes d’êtres, ou enfin prenons-nous pour des êtres de simples apparences ? Telles sont les questions que la science de l’être doit résoudre. Il n’est pas à craindre qu’elle manque de matière.

Mais les questions que pose la métaphysique ne sont-elles pas des questions insolubles ? Les contradictions des métaphysiciens, les controverses sans fin où ils semblent se complaire ne prouvent-elles pas qu’ils se consument à poursuivre un but inaccessible ? Ne sommes-nous pas autorisés à mettre en doute la compétence métaphysique de notre intelligence ? Kant l’a pensé. Il a jugé nécessaire de rechercher avant tout si la métaphysique est possible ; il a cru pouvoir démontrer qu’elle ne l’est pas. D’après lui, tout savoir vient de l’intuition et l’intuition n’atteint que des phénomènes. La science de l’être devrait être tirée de purs concepts. Or de purs concepts nous ne pouvons légitimement rien tirer. Par malheur les arguments de Kant se retournent contre sa thèse. Loin de mettre fin aux controverses des philosophes, sa Critique de la raison pure en a plutôt suscité de nouvelles. D’ailleurs cette critique, telle que Kant la conçoit, est, elle aussi, une science tirée de purs concepts. Pas plus que les sciences de la nature, la métaphysique ne présuppose une critique de nos facultés. Les problèmes qu’elle agite ne sont pas arbitraires, ils s’imposent à l’esprit humain. Il est vrai qu’une science doit en dernière analyse reposer sur l’intuition, mais Kant n’a pas démontré que nous n’avons aucune intuition de l’Être. S’il avait raison sur ce point, le mot être n’aurait pour nous aucun sens. Néanmoins ce philosophe n’a pas fait une œuvre vaine. Une critique de la raison est impossible, mais il peut y avoir une science de la raison. Kant a fondé cette science. Il a fait dans la philosophie une révolution nécessaire. Il