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MALAPERT.l’amour intellectuel de dieu

cluant. sur cette première section, l’amour de Dieu est de toutes nos passions la plus constante, et en tant qu’il se rapporte au corps ne peut être détruit qu’avec le corps lui-même. Quant à la nature de cet amour, en tant qu’il se rapporte uniquement à l’âme, c’est ce que nous verrons plus tard. (V, 20, schol.)[1].

IV. Mais lorsqu’on a déterminé l’idéal auquel doit tendre l’âme soumise aux passions, n’est-il pas permis de pousser plus loin ses méditations et de déterminer l’idéal d’un pur esprit ? N’est-ce pas là ce que faisait Kant lorsqu’il distinguait entre la sainteté, état d’une volonté infaillible et soumise absolument à la loi, et le devoir, qui n’est que l’expression de cette loi absolue dans un être doué de sensibilité ? « Le devoir, conclut M. P. Janet, exposant cette théorie, n’est donc pas la loi morale dans sa pureté : c’est la loi morale tombée en quelque sorte dans le monde sensible, et entrant en conflit avec les passions. — La loi morale peut donc être conçue dans la doctrine de Kant à deux points de vue : soit en elle-même dans une volonté absolument raisonnable, soit à titre de devoir, dans un être à la fois raisonnable et sensible. L’accord de la volonté pure avec la loi est la sainteté ; l’accord de la volonté humaine avec le devoir est la vertu[2]. » — Et si nous remontons jusqu’à Aristote, n’est-ce pas la différence qu’établit le Stagirite entre la prudence et la sagesse, entre la vie pratique et la vie contemplative ? La prudence est la vertu de la raison pratique[3] ; et la sagesse (σοφία) est l’idéal de la raison théorique. Le bonheur auquel arrive le sage par la prudence est le bonheur du composé qui constitue l’homme, composé où entrent à la fois la raison et l’élément sensible[4]. La sagesse nous conduit au contraire à une vertu et à un bonheur sublimes et quasi surhumains. L’homme n’y atteint qu’en tant qu’il possède quelque chose de divin[5].

« Il y a, selon Aristote, une région qu’on peut appeler purement humaine. Il y en a une autre qu’on pourrait appeler purement divine… Si dans la région purement humaine règne la raison (λόγος), ici, dans la région purement divine, règne l’intelligence, νοῦς… Ce que Dieu est par soi, l’homme peut l’être par une acquisition qui dépend de lui en quelque façon, et il y a quelques instants au moins où il atteint cette félicité, qui en Dieu est continue. Ainsi la distinction demeure entre l’humain et le divin, et pourtant un rapprochement s’opère, et il vient

  1. « Possumus hoc eodem modo ostendere, nullum dari affectum qui huic Amori directe sit contrarius, a quo hic ipse Amor possit destrui ; atque adeo concludere possumus, hunc erga Deum amorem omnium affectuum esse constantissimum, nec quatenus ad corpus refertur, posse destrui, nisi cum corpore. Cujus autem naturæ sit, quatenus ad solam mentem refertur, postea videbimus. »
  2. P. Janet, la Morale, p. 451.
  3. Éth. Nic., VI, 5, 1140 b, 25 : δυοῖν δ’ ὄντοιν μεροῖν τῆς ψυχῆς τῶν λόγον ἐχόντων, θατέρου ἂν εἴη ἀρετὴ (-ἡ φρόνησις), τοῦ δοξαστικοῦ.
  4. Éth. Nic., X, 8, 1174 a, 20.
  5. Éth. Nic., X, 7, 1177 b, 28 : οὐ γὰρ ᾗ ἄνθρωπος ἐστιν ὅυτω βιώσεται, ἀλλ' ᾗ θεῖόν τι ἐν αὐτῷ ὑπάρχει.