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MALAPERT.l’amour intellectuel de dieu

sants que ceux que produisent des objets qui, la plus grande partie du temps, sont absents. (V, 11.)

3. Le temps contribue aussi pour sa part à l’œuvre bienfaisante d’apaisement et de délivrance que poursuit l’âme du sage, car il fait disparaître les troubles passagers et partiels pour laisser subsister les impressions profondes et constantes. (V, 7.)

4. Il y a plus. En nous attachant à la considération des objets que nous fait connaître la raison, nous détachons en quelque sorte la passion de l’idée de sa cause extérieure confusément imaginée, et par là nous la détruisons autant qu’il est en nous. Lorsque nous avons appris à aller de la passion qui nous affecte à la pensée des choses connues clairement et distinctement, l’amour et la haine, avec tous les sentiments qui en découlent, privés de leur objet[1], s’évanouissent. Le trouble cesse, pour faire place au plus complet repos. (V, 2 et 4.)

5. Mais qu’est-ce qu’unir des passions à des pensées vraies, sinon connaître leurs vraies causes, en un mot comprendre ces passions mêmes ? Or, c’est dans cette connaissance que consiste en dernière analyse le véritable pouvoir de l’esprit sur ses passions. Son essence et sa puissance, c’est de former des idées adéquates ; en cela elle agit ; et dès que nous formons d’une affection passive une idée adéquate, cette affection cesse aussitôt d’être passive (V, 3) ; elle devient l’idée même et ne s’en distingue plus que d’une façon abstraite. Or nous avons des idées de nos affections, et ces idées peuvent être adéquates ; il n’y a même aucune affection du corps dont nous ne puissions former un concept clair et distinct. (V, 4.) L’affection perd dès lors sa passivité, puisqu’elle exprime, non plus le rapport de l’âme aux choses extérieures, mais bien l’essence même de l’âme. Notre puissance, notre liberté sont ainsi augmentées par la connaissance de chaque passion. Nous arrivons ainsi à posséder une âme dont la plus grande partie est composée d’idées adéquates. Je dis la plus grande partie, et c’est là un point très important ; car nous ne détruisons jamais radicalement en nous l’élément de passivité ; nous le diminuons, nous en écartons de plus en plus et presque entièrement le danger, nous ne l’annihilons jamais. (V, 4 schol.) Il était nécessaire d’insister sur ce point, et c’est pourquoi nous avons voulu serrer de près cette partie de l’Éthique, afin de bien montrer qu’il ne s’agit jamais que d’une diminution progressive des passions. Transformer autant que possible les désirs passifs qui viennent d’idées inadéquates en désirs actifs provenant d’idées adéquates, voilà la suprême sagesse, en même temps que la suprême vertu.

Maintenant, qu’est-ce qu’avoir d’un objet une idée adéquate ? Nous l’avons dit, c’est le connaître dans son essence, dans son rapport avec

  1. Il convient de noter que l’amour et la haine ne sont pour Spinoza que des sentiments de joie ou de tristesse accompagnés de l’idée de leur cause extérieure. (III, Définitions des passions.)