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MALAPERT.l’amour intellectuel de dieu

affermir. Ignorant l’ingratitude et la perfidie, sans indignation, ni mépris, ni haine, il n’envie personne, ne raille personne, et traverse la vie le front calme et faisant simplement le bien. Vertu austére, sans doute, mais non point farouche. Car le sage ne croit pas que la mélancolie et les larmes soient un bien ni un devoir. Il prend dans la vie ce qu’elle a de meilleur ; il charme ses sens du parfum et de l’éclat des fleurs, il goûte les purs plaisirs de l’art, il sait que la joie est bonne et que le sourire est aimable. Il dirait volontiers avec Kant que la bonne grâce est la beauté de la vertu.

Nous nous sommes laissé entraîner au charme de rappeler cet admirable complément pratique des principes abstraits que nous venions de développer. Revenons maintenant au point spécial qui nous occupe.

III. La liberté, avons-nous dit, et la sagesse consistent à se délivrer du joug des passions par la connaissance du vrai bien. Il nous faut voir comment l’homme peut atteindre à cette liberté. C’est là l’objet du 5e livre de l’Éthique. « Je passe enfin, écrit Spinoza, à cette partie de l’éthique qui a pour objet de montrer la voie qui conduit à la liberté. J’y traiterai de la puissance de la raison, en expliquant l’empire que la raison peut exercer sur les passions. » (V, Init.) Cette Ve partie peut se diviser elle-même en deux sections, dont l’une est consacrée à la question de la puissance de l’âme sur les passions, et l’autre à la théorie de l’éternité de l’âme et de l’amour intellectuel de Dieu.

Les passions expriment notre dépendance à l’égard de la nature. Les vaincre, c’est donc nous délivrer de cet esclavage. Mais notre empire sur les passions n’est pas absolu. En effet, et c’est là un point de la plus haute importance pour notre thèse, la connaissance vraie du bien et du mal n’est qu’une passion, et c’est en tant seulement qu’elle est une passion que cette connaissance peut empêcher d’autres passions. (IV, 14.) Elle ne peut vaincre ces dernières que si elle est plus forte qu’elles. Or les causes extérieures surpassent infiniment la puissance de l’homme, et ainsi « le désir, qui naît de la connaissance vraie du bien et du mal, peut être détruit ou empêché par beaucoup d’autres désirs. » (IV, 15.) De telle sorte que cette connaissance ne saurait s’opposer victorieusement aux passions violentes, et c’est pour cela que l’homme peut voir le meilleur et faire le pire. L’âme peut beaucoup sur ses passions, mais son empire a ses limites. C’est là l’erreur des stoïciens, qui se sont imaginé que nos passions dépendent entièrement de notre volonté. L’expérience les a vite détrompés et a rabaissé leur orgueil, en leur montrant que c’est chose singulièrement difficile déjà que de régler ses passions, mais impossible que de les supprimer. Spinoza combat de même la doctrine de Descartes, pour qui la volonté peut produire directement des mouvements capables de vaincre nos passions. Quels sont donc les remèdes des passions ? comment l’âme peut-elle agir contre elles ? Spinoza a ramené lui-même à cinq chefs principaux toute cette démonstration ; nous les examinerons successivement, sans toutefois nous astreindre au même ordre.