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MALAPERT.l’amour intellectuel de dieu

humaine est constituée par l’idée de son corps pris comme existant en acte. (II, 13.) Cette idée, qui constitue l’être formel de l’âme, n’est pas simple, mais composée de plusieurs idées. (II, 15.) Ces différentes idées qui constituent l’âme humaine sont de deux sortes : adéquates ou inadéquates. — Elles sont inadéquates quand elles résultent en nous des choses extérieures ; toutes les fois que l’âme humaine perçoit les choses dans l’ordre commun de la nature, elle n’a des corps extérieurs et de son propre corps et d’elle-même qu’une connaissance confuse et mutilée : elle est en cela constituée par des idées inadéquates. (II, 27.) Les idées adéquates sont celles qui viennent à l’âme de son essence même ; en d’autres termes, ce sont les idées qui ont pour cause Dieu en tant qu’il s’exprime par l’essence de l’âme humaine, sans avoir égard à d’autres choses. (II, 40.)

Maintenant toutes les modifications qui arrivent en nous et dont nous ne sommes causes que partiellement sont des passions ; les modifications au contraire dont nous sommes causes adéquates, c’est-à-dire qui s’expliquent clairement et distinctement par la nature seule de l’âme, sont nos actions. Nos passions proviennent de nos idées inadéquates ; nos actions, de nos idées adéquates. L’essence de l’âme, c’est de connaître : ce qui résulte de cette essence, ce sont les idées adéquates. Voilà en quoi consiste toute notre activité, toute notre puissance.

On voit immédiatement la conséquence de cette théorie psychologique au point de vue de la morale. Si la vertu consiste à agir suivant les lois de sa propre nature, si l’homme ne suit ces lois et n’agit que lorsqu’il a des idées claires, il en résulte évidemment que l’homme n’agit absolument par vertu que lorsqu’il suit la raison. Et comme d’ailleurs la raison ne tend à rien autre chose qu’à comprendre, l’effort pour comprendre est le premier et unique fondement de la vertu. Ce ne sera donc pas en vue de quelque autre chose que nous nous efforcerons de comprendre, mais tout au contraire les choses ne seront bonnes et désirables que si elles sont un moyen de comprendre, et dans la mesure où elles nous conduisent à la vraie connaissance. (IV, 26.) Tant il est vrai qu’une psychologie qui ne voit dans l’homme que l’entendement, aboutit à une morale purement intellectualiste qui néglige nécessairement la source profonde d’où jaillit toute vraie moralité, la liberté du vouloir.

La vie la plus sage, la plus libre, la plus heureuse, sera celle de l’âme qui connaît le mieux et soi-même et le monde. Reste maintenant à se demander en quoi consiste pour Spinoza la vraie connaissance. Ici, on le voit, la Morale pose un problème qu’il appartient à la Logique de résoudre. Or, connaître les choses d’une façon adéquate, c’est les connaître dans leur essence même et par conséquent sous forme d’éternité, c’est les connaître dans leur rapport avec leur cause et par conséquent dans leur rapport avec Dieu même[1]. La vraie connaissance, c’est

  1. Cette théorie de la connaissance est longuement exposée dans la Réforme de l’entendement, et dans l’Éthique, II, prop. 40 à 47.