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I. Spinoza a exposé sa morale dans les deux dernières parties de l’Éthique : la 4e, intitulée de l’Esclavage, est consacrée à l’explication des règles de morale ; la 5e, intitulée de la Liberté, a pour objet de déterminer les conditions nécessaires pour se rendre maître de ses passions et arriver au souverain bonheur.

Le point de départ de la morale spinoziste, c’est le principe métaphysique que tout être tend à persévérer dans son être. (Éth., III, pro. 6.) La puissance d’une chose, ou sa tendance à persévérer dans l’être n’exprimant que l’essence même de cette chose, et d’autre part l’essence d’une chose n’enveloppant jamais sa propre négation, cet effort à persévérer dans l’être enveloppe un temps indéfini. Or, selon Spinoza, la vertu et le devoir ne peuvent rien exiger de nous qui soit contraire à notre nature ; de même absolument que, pour le Stoïcisme, la matière du devoir c’est la fonction naturelle. La vertu sera donc définie : « l’essence même ou la nature de l’homme, en tant qu’il a la puissance de faire certaines choses qui se peuvent concevoir par les seules lois de sa nature elle-même. » (IV, défin. 7.) Le premier devoir, comme la première tendance naturelle, c’est de s’aimer soi-même et de se conserver. Le fondement de la vertu sera donc l’effort d’un être pour se conserver. (IV, 18 schol.) Aucun principe n’est antérieur à celui-là.

Mais l’homme est une partie de la nature, et sa puissance est infiniment surpassée par la puissance des causes extérieures. (IV, 3.) Parmi ces causes, certaines sont favorables, d’autres sont contraires à la conservation de notre être. Les premières sont utiles, les autres sont nuisibles. Et le bien, c’est ce que nous savons certainement nous être utile ; le mal, ce qui fait obstacle à ce que nous possédions un bien certain. (IV, déf. 1 et 2.) Le bien donc est ce qui augmente notre puissance d’agir, le mal ce qui la diminue.

Mais notre puissance d’agir, c’est l’appétit ou le désir, car « le désir est l’essence même de l’homme. » (IV, 18.) Quand ce désir est satisfait, notre puissance d’agir est augmentée, nous gagnons en perfection, car la perfection n’est que la plénitude de l’être. D’où cette nouvelle définition du bien et du mal, adéquate d’ailleurs à la précédente : « ce qui augmente ou diminue notre perfection. »

Comme, d’autre part, il a été établi (III, 11, schol.) que ce qui augmente notre perfection c’est la joie, ce qui la diminue c’est la tristesse, nous pouvons, par une nouvelle substitution de termes identiques, arriver à cette formule : « Le bien, c’est ce qui nous cause de la joie ; le mal, ce qui nous cause de la tristesse. » (IV, 8.)

Ainsi la vertu consiste à conserver notre être et à rechercher ce qui peut nous mettre en joie, c’est-à-dire accroître notre perfection. La vertu d’un être, c’est ce qui résulte nécessairement de sa nature, ou de son essence, ou de sa puissance. Et les degrés de vertu se mesurent aux degrés de puissance.

Quelle est donc, maintenant, la nature, l’essence, la puissance propre de l’homme ? La morale réclame ici sa base de la psychologie. L’âme