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L’AMOUR INTELLECTUEL DE DIEU D’APRÈS SPINOZA


Les commentateurs de Spinoza et les historiens de la philosophie s’accordent d’ordinaire à regarder la théorie de l’éternité de l’âme qui termine l’Éthique, comme une sorte de corollaire très important de la doctrine, mais sans attache profonde avec le reste de la Morale spinoziste. On y a vu, presque toujours, soit une théorie purement métaphysique se rattachant à la psychologie de Spinoza, soit une sorte de concession faite à la croyance commune en l’immortalité de l’âme, et, suivant l’expression de Leibniz, « un habit de parade pour le peuple[1] ». Ceux-là même qui ont noté avec le plus de soin la différence qui sépare la théorie de l’éternité de l’âme d’une doctrine d’immortalité personnelle, n’ont pas manqué de regarder cette dernière section de la Ve partie de l’Éthique comme en opposition avec tout le reste des théories morales de l’auteur. M. Pollock, dans ses très remarquables Études sur Spinoza, remarque même que Spinoza semble avoir eu conscience que cette partie de sa doctrine n’était pas bien liée au reste de l’Ethique. On a fait ressortir les différences profondes qui distinguent l’amour intellectuel de Dieu dont il est question à partir de la proposition 32, de l’amour de Dieu dont parle la proposition 15. On a cru voir là quelque contradiction, ou tout au moins quelque variation, quelque désaccord dans le développement de la pensée de Spinoza.

Cependant, un examen attentif des textes nous a conduits à cette conclusion : que la théorie de l’éternité de l’âme et celle de l’amour intellectuel de Dieu, qui lui est indissolublement unie, sont une des plus importantes parties de la Morale de Spinoza, qu’elles en sont le complément nécessaire, que les séparer du reste de l’Éthique, c’est rompre l’admirable unité de l’ouvre et s’interdire d’en apprécier exactement la portée. — Nous voudrions donc, à un point de vue purement historique, exposer le rôle que joue, à notre avis, la théorie de l’éternité de l’âme dans le développement de la morale spinoziste. Il nous sera pour cela nécessaire de résumer dans ses traits les plus importants et ses principes essentiels cette doctrine morale.

  1. Foucher de Careil, Descartes, Leibnitz et Spinoza, p. 216.