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satisfaction des besoins plus complète, donne toujours naissance à des besoins nouveaux et favorise ainsi la hausse des salaires en stimulant la production. En faisant baisser l’intérêt, l’abondance du capital circulant rend profitables des entreprises dont le rendement brut présumable n’aurait pas supporté des charges plus lourdes : de cette manière encore la capitalisation des revenus élève le prix des bras disponibles. Ainsi l’épargne du capitaliste procure l’aisance à l’ouvrier sans capital ; mais si les capitaux sont des revenus économisés, le riche seul est en mesure de faire une épargne proportionnée aux besoins croissants de la société ; l’épargne du pauvre lui-même, dont nous ne méconnaissons point l’intérêt, a pour condition l’épargne du riche, puisqu’elle suppose un salaire excédant les besoins et que l’affluence des capitaux permet seule une élévation des salaires, ainsi qu’il vient d’être rappelé. Trop facilement résorbées, quelquefois achetées trop cher, les économies de l’ouvrier ont pour destination principale la sécurité de ses vieux jours ; leur rôle économique est ambigu. Avec de la patience et de l’énergie, elles pourraient l’affranchir par un effort concerté ; mais elles pourraient aussi peser sur son travail même, en permettant aux uns d’accepter un salaire inférieur qui ferait loi pour les autres. D’ailleurs, tandis qu’à grand’peine l’ouvrier sauvera la dime de son revenu, le capitaliste opulent en consolidera neuf dixièmes, le simple riche la moitié, sans s’exposer à la moindre privation réelle. Telle est leur fonction sociale ; un riche peut être artiste, mécène, amphitryon, inventeur, poète, philanthrope, homme d’État, il peut se rendre utile et agréable de mille façons ; mais toutes exigent de lui autre chose encore que son coffre-fort. En tant que riche, il est fabricant de capitaux ; c’est son office, et s’il y manque, il contracte envers la société une dette dont il peut s’acquitter quelquefois par d’autres services, mais qui, jusqu’à l’acquittement, reste exigible. La société paye ce service très cher en abandonnant au capitaliste le plus clair des profits du travail auquel il ne fournit qu’un instrument, mais elle ne le paye pas trop cher, comme le dit fort bien M. Ch. Gide, puisque le service est indispensable et qu’on n’a pas trouvé jusqu’ici le secret de l’obtenir à meilleur marché.

La question sociale est là tout entière et la question du luxe l’est aussi. La modiste et le confiseur nous diront que le riche manque à son devoir s’il n’est magnifique ; l’économiste dira qu’il manque à son devoir s’il n’épargne pas énergiquement, et le philosophe se rangera le plus souvent au dernier avis en considérant l’importance morale du service économique, sans parler des autres raisons qui militent à ses yeux dans le même sens. Aussi ne comprenons-nous pas ce qu’entendait M. Paul Leroy-Baulieu lorsqu’il écrivait, dans sa note à