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mais ce n’est pas encore un article de luxe au sens de notre définition ; si c’est la plus noble des jouissances, c’est aussi le plus profond des besoins : nous ne pouvons nous comprendre nous-mêmes qu’en nous rattachant à notre principe, et sans nous comprendre nous-mêmes nous ne saurions établir l’ordre dans notre vie, ni conséquemment dans notre budget, en mesurant à chaque intérêt l’espace qui lui convient.

Eh bien ! lorsqu’il s’agit d’établir cet ordre, ce rang des satisfactions que nous trouvons à la base de tous les faits économiques et dont la normalité fait l’objet principal de la morale, il ne nous est pas permis d’oublier que nous sommes essentiellement des membres d’un corps, que nous ne saurions trouver le bonheur loin de la prospérité générale, que nous ne pouvons faire notre salut, pour parler une fois la langue de la théologie, sans travailler au salut de tous. Le faste même et la vanité ne sont que des formes dégénérées du besoin de nous communiquer ; toutes nos jouissances se multiplient en les partageant, et les plus vives sont, de leur nature, incompatibles avec l’isolement. Ce que la nature enseigne, ce que l’instinct suggère, la raison le prescrit ; il n’est permis à personne d’ordonner sa vie sans égard au bien public. Cette considération nous ramène à la définition du luxe en économie, qui vient peser sur la définition morale et qui la détermine, sans arriver toutefois à se confondre avec elle. Tout ce que nous ferons pour enrichir, pour égayer, pour épanouir notre existence sera approuvé, conseillé par la morale, à la condition cependant de n’être pas fait aux dépens des autres. Or il reste évident, malgré l’assertion contraire, que les dépenses économiquement improductives appauvrissent la société. Il reste également certain que pour quelques-uns qui dépensent bien ou mal — très souvent mal — de gros revenus, un beaucoup plus grand nombre souffre du besoin ; il est aisé de se convaincre que dans une société prospère, où le travail abonde, où par conséquent les salaires sont élevés, le sort de celui qui n’a que ses bras est moins mauvais que dans une société pauvre, qui paye mal. Enfin si nous divisons le capital présumable d’un pays quelconque, même de ceux où paraît régner la prodigalité la plus fabuleuse, par le chiffre de ses habitants, nous trouverons pour quotient la pauvreté. S’il en est ainsi, toute dépense superflue fait tort à d’autres, puisqu’elle arrête ou du moins ralentit l’accroissement du trésor où chacun puise, qui doit subvenir à des besoins croissants et qui n’est jamais trop plein. À d’autres égards cette dépense peut offrir quelquefois des avantages, même des avantages supérieurs à ses inconvénients, mais économiquement elle est fâcheuse, et l’honnête homme doit y penser. Les emplois du loisir et