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CH. SECRÉTAN.questions sociales : le luxe

mais l’intuition de l’ordre réel, aux rapports duquel obéit instinctivement l’inspiration la plus abandonnée et la plus fantasque, lorsqu’elle est vraie. Je ne l’ai pas toujours compris. Celui qui m’a donné cette clarté, que j’aurais dû posséder depuis longtemps, est un ancien camarade, un peintre de genre de mon pays, honoré d’une médaille d’or à l’Exposition universelle de 1855. Je vois toujours brilier ses yeux lorsque, l’interrogeant sur l’attrait mystérieux exercé par quelques vieux maîtres, tels que Rembrandt, il me saisit la main en disant : « Mon cher, ces hommes-là étaient profondément bons. » Ce not et ce regard me suffirent, c’était une révélation. L’antagonisme trop évident des deux intérêts dans la vie ordinaire n’empêche pas que le beau ne procède du bien, et que dans son développement ascensionnel il ne finisse par le rejoindre et par rendre manifeste ce que dès son éveil il fait pressentir.

Comprenant la valeur de la perfection en toutes choses et n’ignorant point le rapport qui unit la délicatesse des sensations au discernement et à l’agilité de la pensée, nous soutiendrons, sans tenir particulièrement aux fraises en Février, la culture des légumes savoureux et des fruits exquis ; nous défendrons contre le phylloxera ou nous reconquerrons sur lui les coteaux de Forst et de Tokay, de l’Hermitage et de la Romanée ; mais nous userons avec discrétion de ces trésors dangereux, auxquels il serait abject de s’assujettir et dégradant d’attacher de l’importance. Ce n’est pas le progrès qui les menace : une consommation plus disséminée, l’abaissement d’une rente foncière excessive, voilà tout ce qui résulterait, sur ce point très particulier, du respect général de la loi morale. Encore moins ce respect obligerait-il à proscrire la soie, les diamants, les couleurs brillantes, cette joie des yeux, cette matière de l’art.

Et l’art lui-même, l’intelligence, l’encouragement et la pratique de l’art ne sont-ils pas recommandés à l’opulence par la considération du but de la vie ? N’est-ce pas l’art qui assouplit notre être, qui l’aiguise, qui l’ordonne et qui l’étend ? N’est-ce pas l’art qui nous fait comprendre la Création en nous révélant notre fonction créatrice ? N’est-ce pas l’art qui élève l’homme à l’humanité, demanderions-nous, si nous ignorions que ce qui fait l’homme, c’est le besoin de l’infini, de l’adorable où l’art prend sa source. Cet infini, cet adorable, l’art essaye de le figurer et fraye ainsi la voie à la pensée, impatiente de le saisir. La science donc, non pas la science des lois qui régissent les phénomènes, dont l’importance économique n’a pas besoin d’être rappelée, mais cette science impuissante autant qu’inutile qui cherche la raison des lois : c’est le plus exquis des superflus ; c’est aussi le plus coûteux, puisqu’il fait dédaigner les occupations lucratives ;