Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVI, 1888.djvu/247

Cette page n’a pas encore été corrigée
237
CH. SECRÉTAN.questions sociales : le luxe

notre manière de la justifier et de la comprendre importe peu dans la question. Disons-le donc avec tout le monde : le but de la vie, c’est la vie, c’est-à-dire la réalisation de toutes les puissances de notre être, la pleine manifestation, le développement intégral de l’humanité par le développement et l’achèvement des individus qui la composent, d’où résulteront comme conséquence l’établissement, la régularisation et la complétion de leurs rapports.

Chacun peut s’accommoder de ce cadre, mais chacun n’y placera pas le même dessin. Ainsi l’emploi du mot vie risque de soulever un nouveau problème : de quelle vie est-il question, de la vie présente, apparente, éphémère, ou de cette vie éternelle dont parlent encore quelques-uns ? Il semble que tout dépende de cette alternative. Néanmoins nous en ferons abstraction, certain que la condition d’une bonne vie à venir ne saurait être que l’accomplissement normal de celle-ci, tel qu’il est marqué par l’ensemble de nos facultés et de nos dispositions naturelles. Le développement harmonieux de ces aptitudes et de ces tendances ne saurait être un déploiement uniforme, en lignes parallèles, comme si toutes avaient la même importance et que chacune fût un but pour soi. Il y faut une proportion, il y faut un centre, et la conception morale de la vie ne saurait trouver un tel centre que dans la vie morale elle-même, dans l’éducation de la volonté, nécessaire à la culture et à l’exercice de toutes les puissances de notre être. Tout y converge et tout en rayonne.

Maintenant en quoi consiste la bonne condition de la volonté ? — À nous vouloir tels que nous sommes : organes libres d’un organisme de volontés, nous ne pouvons avoir raisonnablement d’autre but que la perfection de cet organisme, la consommation de son unité par la convergence des volontés particulières, par la fusion de ces volontés dans la réciprocité du même amour. Ce n’est pas l’altruisme, mot détestable, non parce qu’il est laid, et barbare en deux façons, — son l venant du latin et son u du français, — mais parce qu’il défigure l’idée d’une chose excellente : — d’abord en mettant l’activité volontaire à la remorque des instincts, qu’elle doit bien plutôt diriger en les dominant par la raison, puis en consacrant comme une nécessité permanente et normale un antagonisme de penchants causé par l’ignorance de soi-même et par l’illusion. Il ne s’agit en réalité ni de se préférer aux autres, ni de préférer les autres à soi, mais de satisfaire à la fois l’égoïsme et l’altruisme en bâtissant l’être vrai, en s’employant au bien du tout hors duquel nous ne saurions obtenir pour nous-mêmes aucun bien qui soit un bien. Et ce bien collectif ne pouvant être produit que par le concert des libertés individuelles, on ne saurait y travailler qu’en respectant, en honorant, en faisant vivre et