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façades, la splendeur des toilettes et des équipages (je ne parle pas des livrées), cet éclat joyeux, auquel la prudente commisération de l’éminent économiste cité plus haut préfère le luxe discret des appartements, charme un instant l’œil du piéton trop fier pour l’envie. Economiquement, c’est bien du luxe, et moralement aussi, lorsque la satisfaction cherchée est égoïste ; mais au point de vue social, la question d’opportunité mise à part, ce luxe n’est pas condamnable, puisqu’il donne du plaisir aux esprits bien faits. Sans oublier qu’avec des ouvriers plus capables, les articles courants seront meilleurs. Il n’est pas jusqu’aux grands vins qu’on ne puisse absoudre, comme la meilleure manière d’utiliser certains emplacements ; on voudrait seulement qu’une demande un peu moins empressée en laissât les prix plus abordables et permit à plus de lèvres de s’y mouiller une fois.

II

Ainsi plus l’horizon s’élargit, plus la diversité des intérêts contemplés augmente, plus se rétrécit le champ du luxe, parce que la signification du terme se modifie. Voyons donc maintenant ce qui sera luxe pour le moraliste, tenu de considérer la vie sous tous les aspects. Le sens vulgaire du mot s’impose à lui, il ne peut pas s’en détacher ; mais il faut qu’il le précise, et il ne pourra le préciser que si d’avance il a pris son parti d’attacher au mot un sens favorable ou défavorable. C’est ainsi que nous avons procédé jusqu’ici sans y trouver de difficulté sérieuse et sans rien préjuger arbitrairement sur le fond des choses. Au point de vue économique nous n’avons considéré comme luxe aucune dépense économiquement justifiable, comme au point de vue social aucune dépense avantageuse ou innocente relativement à l’intérêt social. Nous le pouvions, parce que le sens général du mot luxe est élastique, tandis que le point de vue économique et le point de vue social sont assez nettement définis ; mais le point de vue moral ne l’est pas : autant de philosophies, autant de morales.

Toutefois, dans le sujet qui nous occupe, nous n’aurons pas besoin de remonter aux axiomes générateurs d’un système (axiomes ou postulats). La morale est l’art de la vie ; étudier un sujet sous le point de vue moral, c’est le considérer dans son rapport avec le but de la vie ; nous devons donc expliquer comment nous entendons ce but, mais quant à justifier notre conception en la déduisant de notre principe, nous en épargnerons la fatigue au lecteur, parce que, sur cette matière, nous n’avons pas besoin de sortir du lieu commun. À la prendre dans ses généralités, notre morale est la morale traditionnelle, que chacun connaît, et ce qu’il peut y avoir de personnel dans