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CH. SECRÉTAN.questions sociales : le luxe

duits utiles ou de forces, de facultés et de connaissances applicables à la production ». N’admettant pas, jusqu’à plus ample information, les bénéfices indirects du luxe préconisés par M. Paul Leroy-Beaulieu, ou les croyant au moins compensés par les dommages indirects qu’il occasionne, nous y ferions rentrer même les dépenses que l’usage impose aux personnes de moyenne condition, lorsque celles-ci pourraient s’en dispenser sans inconvénient pour leurs affaires. Un pays qui travaille pour l’exportation trouve quelquefois un profit considérable dans la production des ouvrages d’art ou de fantaisie. Dans ce cas le gouvernement et les citoyens peuvent servir la richesse nationale par des dépenses qui sont du luxe pour eux, mais qui contribuent à élever le goût et à maintenir le personnel d’élite nécessaire au succès de ces industries. Indépendamment de leurs conséquences économiques indirectes, qu’il est impossible d’apercevoir toutes et de suivre jusqu’au bout, la production et acquisition d’objets d’art, ainsi que bien d’autres occupations et consommations improductives peuvent mériter l’approbation et ne rester pas moins choses de luxe aux yeux de l’économie abstraite, dont la richesse productive est l’unique objet.

Par cette réflexion nous sommes entré dans la sphère plus large de la philosophie sociale. L’art qui en dérive a pour objet le bien-être général. Ici la richesse n’est plus qu’un moyen et les problèmes de répartition arrivent au premier rang, parce que le bien-être et le malaise sont des phénomènes de conscience, dont le siège est l’individu. En passant d’une discipline à l’autre, le sens du mot luxe change : nous devons désigner ainsi maintenant les dépenses superflues qui ne contribuent ni directement ni indirectement au bien-être du grand nombre, et de notre nouveau point de vue nous les condamnerons lorsqu’elles pourraient nuire à ce grand nombre, ce qui sera le cas ordinaire, car on nuit à ceux qu’on appauvrit et toute consommation superflue entraîne un appauvrissement : en détruisant un objet utile, on fait renchérir les similaires et l’on oblige à s’en passer ceux qui n’y peuvent pas mettre notre prix ; les gens qui consomment des capitaux font monter l’intérêt et privent quelques travailleurs du salaire à gagner dans telle entreprise qu’ils rendent impossible par cette hausse ; pour un habile ouvrier qu’ils payent grassement, ils en condamnent dix au chômage ; celui qui dine à trente francs empêche quelqu’un, je ne sais où, de dîner à quinze sous. Cependant bien des dépenses qui seraient luxe pour l’économie pure passent à l’utile en philosophie sociale : ainsi les concerts gratuits, les beaux édifices publics, la décoration des jardins et des places, dont l’aire importe seule à l’hygiène, et par suite à la production. L’élégance même des