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discussion dans la note qu’il a lue à l’Institut le 6 août passé. Il définit le luxe « cette partie du superflu (voulant parler sans doute de la consommation superflue) qui dépasse ce que la généralité des habitants d’un pays considère comme essentiel, non seulement aux besoins de l’existence, mais même à l’agrément et à la décence de la vie ». Cette définition aurait encore besoin d’un commentaire, car si l’on entend par généralité la grande majorité numérique, on tiendrait pour luxueux dans certaines positions un genre de vie qui serait considéré comme misérable par la classe qui les occupe. La suite montre que l’auteur entend parler de dépenses supérieures à ce que les convenances sociales exigent de chacun de nous. C’est le luxe ainsi défini que l’éminent académicien considère comme économiquement avantageux. Sans lui, pense-t-il, la société s’endormirait dans la routine et finirait par rétrograder ; de sorte qu’avec le temps « la suppression du luxe amènerait une diminution des objets de consommation vulgaire. » C’est le luxe, à ses yeux, qui fait le prix de la richesse, et c’est la soif de la richesse qui stimule le génie de l’inventeur et soutient l’ardeur du chef d’industrie.

Ainsi l’effet immédiat du luxe serait sans doute une diminution de biens, puisque ceux qu’il emploie sont duement détruits et ne reparaissent pas sous la forme des produits nouveaux ou de facultés acquises, comme il arrive aux consommations d’une utilité moins problématique ; mais indirectement, en stimulant les efforts de quelques-uns, en réveillant l’esprit de tous, le luxe finirait par rendre ce qu’il coûte et au delà. L’auteur de la note fait observer avec raison que l’économie résultant de la suppression du luxe ne serait pas complète, que les grands vignobles, par exemple, rapporteraient beaucoup moins si l’on y plantait des cépages communs, et qu’un habile sculpteur devenu charpentier ne gagnerait plus les mêmes journées. — Sur quoi l’on pourrait dire qu’en se retranchant le milliard du luxe dont il parle, il resterait toujours quelques centaines de millions applicables à la production du nécessaire, dont il n’y a point encore assez, puisque tant de gens en restent privés. On pourrait répondre encore, et l’on a répondu, que pour une invention dont la paternité reviendrait au luxe, on lui doit bien quelques centaines de banqueroutes, sans parler des indélicatesses, des duretés, des voleries que les statistiques n’enregistrent pas — que le luxe n’est ni l’unique avantage de la richesse, ni le mobile principal de sa poursuite, bref, que le profit du luxe est hypothétique, tandis que la perte directe est certaine. Au point de vue purement économique, il reste donc à comprendre sous le nom de luxe « toute dépense où l’équivalent des biens consommés ne se retrouverait pas sous la forme d’autres pro-