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CH. SECRÉTAN.questions sociales : le luxe

risquerait à formuler des préceptes et à donner des conseils sans vouloir sortir de sa propre sphère, il lui serait peut-être permis de définir la dépense de luxe sans égard à la position des personnes. En morale, où l’individu doit entrer en compte et où l’ensemble de son développement forme un objet essentiel à considérer, l’échelle des satisfactions à rechercher étant relative à ce développement total, il est clair, au contraire, que ce qui serait luxe pour l’un ne le sera pas toujours pour l’autre, et que l’effet d’une dépense sur la richesse collective ne saurait servir de critère, quoique son influence sur le bien total de la société puisse très bien le devenir.

Demander, sans explication préalable : le luxe est-il un bien ou un mal ? c’est donc poser une question qui n’en est pas une, parce que la même définition ne convenant pas à l’économie politique et à la morale, on ne parle pas de la même chose lorsqu’on croit examiner le luxe sous deux aspects. Dans ce sens, il est vrai de dire que le luxe ne peut pas être défini. Nous séparerons donc expressément les domaines, pour voir s’il n’est pas possible d’atteindre à des notions précises dans chacun d’eux pris à part.

I

Laissant de côté la politique proprement dite, qui réclamerait peut-être une troisième définition relative à des questions d’opportunité trop variables pour qu’on puisse espérer de leur étude un grand avantage scientifique, nous commencerons par l’économie. Ici la question de principe nous paraît fort simple. L’économie, ayant pour objet la richesse des nations, examine toutes choses au point de vue de l’accroissement, de la conservation ou de la diminution de cette richesse. À la prendre comme un art, son but serait d’augmenter la somme des biens et des capacités. Elle distingue les consommations en improductives et reproductives. De ce point de vue éminemment abstrait, cela va sans dire, nous tiendrons le mot luxe pour synonyme de consommation volontaire improductive ; nous attribuerons ce caractère à toute dépense qui ne servirait ni directement ni indirectement à la conservation et à l’augmentation de la richesse sociale, et de ce chef nous la condamnerons, quitte à l’approuver peut-être en définitive, lorsque nous l’aurons considérée sous d’autres rapports. La difficulté serait d’accommoder cette définition du luxe à nos habitudes d’esprit, et de bien distinguer les consommations indirectement productives de celles qui ne le sont absolument pas.

C’est sur ce terrain que M. Paul Leroy-Beaulieu voulait placer la