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aucune responsabilité, c’est en employant une fiction, en représentant l’esprit humain divisé en deux portions : les sentiments et les passions d’une part, et la volonté d’autre part. « Ce qui vient de mon caractère et de ma nature déterminée, dit nettement M. Fouillée, paraît venir d’une nécessité que je subis. » Or, du moment que l’individu subit une nécessité, on conclut que ce n’est pas son moi qui agit ; donc, pas de responsabilité. Il faut répondre simplement que cette dissection entre le moi et les sentiments divers est artificielle ; la volonté n’existe pas comme une puissance à part ; et lorsqu’on agit en conformité avec son caractère, on n’a pas le sentiment de subir une nécessité ; au reste, cette dissection n’a jamais été acceptée en pratique. Mais ce qu’il y a de très curieux, c’est que les partisans du libre arbitre s’engagent dans une véritable impasse ; ils ne veulent attacher une vertu morale qu’à l’acte déterminé par le moi ; mais, d’autre part, il est évident, comme le remarque encore M. Fouillée, que « ce qui ne vient pas de mon caractère paraît un accident et un hasard sans moralité[1] ».

M. Tarde nous paraît être arrivé à la même conclusion que nous, quand il dit que la responsabilité pénale est fondée non sur la liberté, mais sur l’identité morale de l’agent et de son acte. Je crois en outre que la véritable raison qui fait que l’identité est le fondement de la responsabilité pénale doit être cherchée dans l’étude des sentiments sociaux inspirés par le délit.

Au reste, M. Tarde a très bien montré par quelles variations et transformations sociales a passé cette notion de l’identité. À une époque primitive, persistant encore çà et là sur certains points arriérés du globe, l’unité n’était pas l’individu, mais une agglomération d’individus, la famille ou la tribu ; quand un membre de l’agglomération commettait un crime, la responsabilité pesait sur la famille entière. Si monstrueuse que paraisse cette idée, elle a été admise par la nation hébraïque, et le dogme du péché originel prouve que toute une famille et tous ses descendants, in infinitum, pouvaient être considérés comme responsables du crime d’un seul. Aujourd’hui la même idée explique les vengeances de familles entre Corses, et les représailles poursuivies entre deux nations pour une violation du droit des gens commise par un individu unique[2].

  1. Op. cit., p. 397.
  2. Criminalité comparée, p. 144 et 49. M. Garofalo a également défendu les mêmes idées. Pourquoi, dit-il, ne pourrait-on pas reconnaître un mérite ou un démérite à l’acte déterminé, lorsque la force déterminante n’est autre que le moi ? (Criminologie, p. 312.)