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A. BINET.la responsabilité morale

vraie, du moins la seule soutenable ; et nous croyons qu’elle est parfaitement compatible avec la responsabilité. C’est l’idée que Stuart Mill a développée dans le passage suivant, mais sans arriver à donner à sa pensée toute la précision désirable : « On dit que celui qui admet la théorie de la nécessité doit sentir de l’injustice aux punitions qu’on lui inflige pour ses mauvaises actions ; cela me paraît une chimère. Ce serait vrai, s’il ne pouvait réellement pas s’empêcher d’agir comme il l’a fait, c’est-à-dire s’il était soumis à une contrainte physique… Mais si le criminel était dans un état où la crainte du châtiment pouvait agir sur lui, il n’y a pas d’objection métaphysique qui puisse, à mon avis, lui faire trouver son châtiment injuste. En effet… le mot faute, bien loin de lui être inapplicable, est le nom spécifique du défaut ou de l’infirmité qu’il a manifestée, un amour insuffisant du bien et une aversion insuffisante pour le mal. La faiblesse ou la faute de ces sentiments est dans l’esprit de chacun le critérium de la faute ou du mérite. Si le désir du bien et l’aversion pour le mal ont cédé à une faible tentation, nous jugeons qu’ils sont faibles, et notre blâme est fort. Enfin si les désirs et les aversions qui constituent la moralité ont prévalu, mais avec une force moins intense, nous jugeons que l’action a été bonne, mais qu’il y a en elle peu de mérite[1] ».

Il nous semble que Stuart Mill reconnaît ici que la responsabilité de l’agent repose sur les sentiments de sympathie ou de répulsion que nous inspire son caractère, tel que nous le révèle l’acte qu’il a commis. Et en effet, cette idée est très juste. Supposons un assassin qui prétend se décharger de toute responsabilité sous prétexte que son acte a été déterminé. Que pourra-t-il dire ? qu’il a obéi à la force de son amour pour l’argent, pour le jeu, etc., à son besoin de jouer n’importe comment, aux dépens des autres, et que ce sont ces sentiments et ces besoins qui ont déterminé son acte avec la même fatalité que l’attraction détermine la chute de la pierre. Soit, mais qu’importe ? Ces sentiments antisociaux ne sont pas distincts de son moi, de sa personnalité ; son amour de l’argent, c’est une partie de lui-même ; sa férocité, c’est lui ; son cynisme, c’est lui. Bien que son acte soit déterminé, il n’inspire pas moins de répulsion, puisqu’il est dans la logique de son caractère.

Voilà, croyons-nous, la solution exacte, pratique et humaine de ce grand problème de la responsabilité. Si les adversaires de la doctrine nécessitaire ont soutenu que l’acte nécessité, alors même qu’il est conforme au caractère de l’agent, ne doit lui faire encourir

  1. Philosophie de Hamilton, p. 569.