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lui un contraste violent ; c’est par exemple un homme bienveillant qu’on a forcé à commettre un acte de férocité. Alors les sentiments de réprobation inspirés par l’acte ne peuvent pas être reportés à l’agent, dont le caractère inspire au contraire de la sympathie. Il n’en est point responsable : le châtiment qui le frapperait soulèverait de la pitié. Voilà le fait dans toute sa brutalité, sans que nous songions à établir des distinctions et à fixer des nuances. Ce qu’il faut comprendre avant tout, avant d’entrer dans le détail particulier à chaque espèce, c’est que la formule qui fait de la liberté une condition de la responsabilité exprime simplement des rapports entre des états émotionnels.

On a dit encore que la responsabilité a pour condition essentielle la possibilité des contraires pour la volonté. Je ne suis responsable d’un acte, prétend-on, que si, en l’accomplissant, j’avais le pouvoir d’agir autrement. Cette condition nouvelle qu’on impose à la responsabilité nous paraît simplement avoir pour but de fournir la preuve que la volonté de l’agent n’a pas été influencée par une force étrangère, extérieure à lui, à ses sentiments et à ses désirs[1]. Dès lors la condition se trouve réalisée toutes les fois qu’on agit conformément à son caractère et que l’on fait ce qu’on veut bien faire. Il est donc inutile de subordonner la responsabilité à une faculté imaginaire, et d’ailleurs absurde, de produire des effets contraires, toutes les conditions restant les mêmes.

Il en résulte que le sentiment de la responsabilité n’est nullement incompatible avec la doctrine de la nécessité. Au moins faut-il faire une distinction entre deux espèces de doctrines nécessitaires. La première, qui se confond avec le fatalisme ancien, soutient que nos actions ne dépendent pas de nos désirs, mais d’une puissance extérieure à nous, qui est plus forte que nous et qui nous force à agir non pas comme nous le voulons, mais comme nous sommes prédestinés à agir. Évidemment ce fatalisme supprime la responsabilité de l’homme, qui devient un instrument aux mains de la destinée. Mais il existe une autre forme de la nécessité, celle que Stuart Mill a défendue, et qui est la vraie doctrine déterministe. Cette doctrine soutient que nos actions sont conformes à notre caractère, et que celui qui connaîtrait à fond notre caractère pourrait certainement prédire comment nous agirons dans un cas donné.

Cette seconde forme de la doctrine nécessitaire est, sinon la seule

  1. En effet, la meilleure preuve que je puisse donner que j’agis conformément à mes désirs, et que je ne subis pas l’action d’une force étrangère, c’est que je puis agir tout autrement, si je veux ; cela prouve évidemment que la cause de mon acte est dans mes désirs et ma volonté, et non ailleurs.